Le Soir de Belgique, 26/10/2005

 

Sahara Occidental : aux portes du terrorisme

Ana Gomes

 

Six morts de plus à Ceuta et Melilla, et ce ne sont pas les premiers Africains à mourir en cherchant à pénétrer dans l'enclave et le " paradis " de l'Union européenne. Alors nous, Européens, nous dressons des bilans sur l'état de pauvreté de l'Afrique, nous dénonçons la corruption de ses dirigeants et enfin nous nous agitons avec notre aide humanitaire.

Chaque situation est particulière, celle qui nous lie au Maroc et aux enclaves espagnoles est empreinte d'une complaisance qui doit cesser. Il ne s'agit pas seulement du passage des émigrants à travers ses frontières et de l'abjecte réaction des gendarmes marocains, soudainement zélés, qui lâchent leurs troupeaux humains, poings liés, au milieu du désert, au sud d'Oujda. Les interrogations de l'Europe ont des racines plus profondes. Depuis plus de dix ans, les députés européens se rendent en mission au Sahara espagnol, au Sud du Maroc. En vain elles croisent un fantôme nommé référendum d'autodétermination et, en dernier recours, permettent à cent quatre-vingt mille autres fantômes de survivre grâce à l'aide humanitaire. En mars dernier, avec d'autres députés européens et espagnols, j'ai partagé la vie des réfugiés de Tindouf, dans le sud de l'Algérie. Quatre journées pour rencontrer ceux qui depuis trente ans se battent pour revenir chez eux. L'aide humanitaire est la principale source de subsistance. Les Sahraouis pourraient s'en passer, ils savent survivre dans un environnement inhospitalier. À condition d'être chez eux.

Les quatre cent quatre derniers prisonniers de guerre marocains détenus par le Front Polisario, le mouvement nationaliste sahraoui, ont été libérés en août. Le gouvernement marocain, lui, n'a toujours pas relâché cent quatre-vingt-cinq prisonniers politiques ni donné de précisions sur cinq cents Sahraouis portés disparus. Durant un mois cet été, trente-sept détenus sahraouis ont fait une grève de la faim. Parmi eux, Aminatou Haidar, militante des droits de la femme, a été hospitalisée dans un état critique. Sur internet, d'horribles photos circulent, attestant de conditions de détention inhumaines. Le 3 octobre, trente-six étudiants sahraouis ont été arrêtés et incarcérés après avoir manifesté pour la libération de leurs compatriotes.

L'accord obtenu en 1991 sous l'égide de l'ONU prévoyait la tenue d'un référendum l'année suivante. Rabat s'y opposa, ainsi qu'aux propositions de James Baker, le représentant spécial de l'ONU, qui suivirent. L'ex-secrétaire d'État américain finit par démissionner l'an passé. Son plan prévoyait une participation de tous, Sahraouis et colons marocains, au référendum. Les colons étant aujourd'hui majoritaires, on imagine que Rabat ne fait plus même confiance à ses ressortissants. Les opportunités pour faire face à nos responsabilités ne manquent pas. Peter van Walsum est le nouvel " envoyé personnel " du Secrétaire général des Nations unies. John Bolton, ancien conseiller principal de James Baker pour le Sahara occidental a pris ses fonctions d'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU. Ces deux hommes auront-ils la volonté politique de convaincre le Conseil de Sécurité, et les États membres de l'UE qui y siègent, de s'attaquer aux causes profondes du problème ? La réalité est simple, répétons-le : cesser la politique de complaisance à l'égard du Maroc.

Oui, soyons réalistes : pacifié, stabilisé, le Sahara occidental, riche en pétrole, phosphate peut devenir un partenaire commercial important de l'UE. Ses industries de la pêche et du tourisme peuvent être lucratives. La sécurité du continent européen passe aussi par un Sahara et un Maroc en paix. Les mécanismes qui alimentent le terrorisme international sont connus : dans le voisinage du Sahara Occidental, au Maroc, en Algérie, en Mauritanie, des réseaux fondamentalistes radicaux sont sur pied. Si l'Europe se désintéresse de trouver une résolution au conflit, quelle alternative auront les nouvelles générations de Sahraouis, si ce n'est de se jeter dans les bras des " jihadistes " ?

L'UE se doit de faire enfin comprendre à Rabat qu'il y va de son propre intérêt de mettre fin à l'occupation illégale. À terme, les Marocains jouiront d'une relation de bon voisinage avec la RASD, comme aujourd'hui l'Indonésie avec son ancienne " province " du Timor oriental. Comme le Portugal au Timor-Oriental au début des années 80, l'Espagne adopte au Sahara un rôle passif, se prétendant démunie face à la puissance occupante. La France joue le rôle de l'Australie à l'époque, donne des leçons sur le respect des droits de l'homme tout en entretenant une relation bilatérale privilégiée avec l'occupant. Les autres Européens pratiquent, quant à eux, la politique de l'autruche.

Les citoyens européens se mobilisent pour soutenir les Sah-raouis. A Tindouf, les ONG sont présentes. Comme chaque année à l'approche des périodes de fête, dix mille enfants réfugiés vont être accueillis dans des familles espagnoles ; ils y apprendront la langue et passeront des examens médicaux. La mobilisation passe aussi par la culture : réalisateurs et acteurs espagnols s'investissent dans un " Festival de cinéma du Sahara ". Ce sont des baumes sur le coeur qui ne doivent éluder la question de fond.

En tant que socialiste, je me dois d'être " encore plus exigeante " envers un gouvernement socialiste : le PSOE doit avoir le courage d'affronter politiquement le pouvoir au Maroc. Madrid doit briser le mur du silence.·

Ana Gomes : Membre du Parlement européen, vice-présidente de la Sous-Commission Sécurité et Défense et ancienne ambassadrice du Portugal en Indonésie

--> HOME --> Sommaire publications