Un quart de siècle de solidarité

XXVIème conférence européenne de soutien au peuple sahraoui

Bruxelles, 24, 25 et 26 novembre 2000

English
Español

 

Intervention de Mohamed Sidati, Ministre Conseiller et Membre du Secretariat National du Front Polisario

 

Chers amis,
Chères amies,

Il y a un an déjà et quelques jours, nous étions tous réunis à Las Palmas.

Aujourd'hui, il est temps de faire le bilan d'une année d'activité, de procéder à une évaluation de nos efforts afin de voir si le programme d'action que s'était fixé la coordination européenne a bien été suivi et appliqué, tout en n'oubliant pas que nous ne pourrons véritablement parler d'objectif atteint que le jour où le peuple sahraoui aura enfin conquis son droit à l'autodétermination et recouvré sa liberté.

A cette occasion, je ne peux que rendre hommage à tous ceux et celles qui ont fait le déplacement, et qui se trouvent réunis ici pour rappeler que le contrat de la coordination européenne des comités de solidarité a été bien assumé et continue de l'être.

L'activité de la Task Force illustre d'ailleurs parfaitement ceci, puisqu'elle s'est réunie régulièrement pour faire le point de la situation, s'est assurée du suivi de l'action, et surtout a honoré ce qui avait été décidé par la conférence en Espagne - un travail où à chaque pas, l'analyse du Front Polisario a été attentivement prise en compte - . Outre ces réunions et des actions telles que la manifestation au Parlement Européen, les responsables européens et internationaux, ainsi que le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan et son Envoyé personnel James Baker, ont été régulièrement saisis par courrier des démarches effectuées au niveau européen. Ils ont été en particulier tenus au courant de la préoccupation des comités européens qui voient les Nations Unies ne pas remplir leurs engagements en ce qui concerne l'application du plan de paix. La Task Force avec son président Pierre Galand, a déployé sans compter ses efforts afin que ce qui avait été décidé par l'ensemble des comités et des ong puisse être concrétisé.

Le fait que la 26 ème conférence, marque un quart de siècle de solidarité, puisse être célébrée ici en Belgique est aussi l'occasion de rendre hommage aux amis de la solidarité belge et particulièrement à Pierre Galand, fondateur de l'EuCoCo. Rappelons que c'est de la Belgique, en 1975, que sont parties grâce à Oxfam et au comité belge les premières aides concrètes de solidarité destinées au peuple sahraoui.

Un quart de siècle de solidarité, c'est aussi 25 années de lutte ininterrompue menée par le peuple sahraoui pour concrétiser ses droits légitimes à l'autodétermination et l'indépendance : à la constance d'une lutte correspond donc la constance d'une solidarité. Et là, nous ne dirons jamais assez combien votre solidarité conforte le peuple sahraoui dans ses épreuves. C'est pourquoi vous êtes à chaque instant l'objet de notre reconnaissance et de notre gratitude.

Procédons maintenant à une analyse objective et sereine du processus de paix et des évolutions qu'il a connues tout au long de l'année écoulée.

On peut dire que 2 points essentiels apparaissent très clairement :

En premier lieu, il est dorénavant confirmé que le processus référendaire ne peut être que favorable au peuple sahraoui: cette évidence ressort de la publication de la liste provisoire des votants.

En deuxième lieu, c'est au moment même où émerge clairement cette évidence, que l'on voit se multiplier différentes tentatives qui ont pour fin de s'écarter du plan de paix et de ses dispositions.

A ce niveau, il faut tout de suite mentionner la difficulté récurante qui a cherché et cherche encore à entraver l'application du plan de paix, à savoir l'exigence du Maroc que des milliers de ses propres colons et citoyens soient identifiés par la MINURSO pour participer au référendum et en fausser les résultats.

La publication de la liste aurait pu mettre fin aux manŠuvres obstructionnistes du Maroc, mais pas du tout : ce pays tente une fois de plus de mettre dans l'impasse l'application du plan de paix et la tenue du référendum en inondant la Commission d'identification de milliers de demandes en recours déposées par les ressortissants marocains ayant été rejetés par la même commission parce qu'ils ne remplissaient pas les critères requis par l'ONU. La commission se retrouve maintenant face à un nombre impressionnant de 135 mille recours, dont 95% n'ont aucune base légale ni justification pratique.

Il est clair que ce comportement, qui tend à remettre en cause le travail laborieux accompli dans des conditions souvent difficiles par la Commission d'identification, traite par le mépris les efforts et les moyens financiers considérables mis en Šuvre par la communauté internationale pour mener à bien cet exercice. En agissant de la sorte, le Maroc fait fi des appels répétés lancés par le Secrétaire Général dans plus d'un rapport et par le Conseil de sécurité pour que la procédure de recours ne soit pas transformée en une identification bis.

Ce n'est pas uniquement dans ce domaine que se manifestent les mesures de blocages émanant du Maroc : le rapatriement des réfugiés sahraouis a donné lieu globalement au même genre de comportement à savoir, que chaque progrès enregistré provoquait de nouveaux obstacles. Les mesures de confiance, proposées par M. James Baker et devant permettre des échanges de visite entre familles séparées par le mur érigé par l'occupant marocain ont été aussi catégoriquement refusées par celui-ci.

Mais une nouvelle tendance se dessine quand aux entraves à l'application du plan de paix : pendant longtemps, ces tentatives ont émané du Maroc, et de son principal allié dans cette affaire de l'occupation coloniale du Sahara Occidental, la France. Toutefois, depuis quelques temps, on voit se développer une situation où ces mêmes tentatives bénéficient de l'oreille complaisante de certains milieux des Nations Unies, comme en témoignent les récents rapports de son Secrétaire Général.

Et à ce sujet-là, 2 choses sont à souligner :

Tout d'abord, il est regrettable que le Secrétaire Général et le Conseil de sécurité de l'ONU ne fassent pas preuve de plus de détermination afin d'amener le Maroc à respecter ses engagements et à coopérer loyalement avec la MINURSO.

Mais surtout, la perception de l'efficacité de la MINURSO se retrouve faussée : ainsi, en décembre 1999, le Secrétaire Général de l'ONU a fait une évaluation particulièrement négative de la mise en Šuvre du plan de règlement au Sahara Occidental qui met en relief les difficultés auxquelles il fait ou ferait face à l'avenir. Du coup, les nombreux progrès du processus de règlement sont tantôt passés sous silence tantôt minimisés. Les 4 rapports suivants procèdent de la même logique. Cette perception faussée et négative du travail de la MINURSO résulte en grande partie des pressions constantes de la France, membre du Conseil de sécurité et alliée du Maroc.

Et pourtant, les avancées sont importantes :

Ainsi, au début de l'année 2000, la MINURSO a mené à bien l'identification de quelques 198 000 candidats au référendum d'autodétermination, soit tous les candidats en lice. Commencé en 1994, cette tâche difficile qui constitue la pierre angulaire de l'ensemble du processus a été effectuée avec détermination par la Commission d'identification de la MINURSO. Au terme de toutes ces années de travail, les Nations Unies ont donc publié le 16 janvier 2000 une liste provisoire comportant 86 349 votants.

Pour bien comprendre l'accomplissement décisif et crucial que représente cette liste, il faut sans doute souligner les efforts qui ont été déployés pour mener à terme cette tâche : depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu en 1991, 600 millions de dollars ont été dépensés pour la MINURSO. Cette même période a vu se succéder les efforts de 3 Secrétaires Généraux de l'ONU, de 6 Représentants spéciaux, et d'un Envoyé personnel en la personne de M James Baker. Au niveau des textes internationaux, pas moins de 30 résolutions du Conseil de Sécurité et 10 de l'Assemblée Générale ont été prises.

Nier ces progrès importants dans l'application du plan de paix revient malheureusement à se faire l'écho de la propagande marocaine. C'est cette perception faussée du travail de la MINURSO qui imprègne le tout dernier rapport du Secrétaire Général du 25 octobre 2000 - un rapport qui témoigne surtout de cette complaisance aux thèses marocaines:

En effet, ce document qui reconnaît enfin que le traitement des recours peut être envisagé, présente comme implicitement compatibles des principes qui ne le sont absolument pas, surtout dans le contexte du processus de décolonisation qui concerne le Sahara Occidental : ainsi, dans ce rapport il est à la fois question de, je cite, "la souveraineté et de l'intégralité territoriale du Maroc", de la "délégation d'une partie des pouvoirs du Maroc", et du respect des normes internationales. Ceci est tout simplement une aberration de pensée qu'il convient de souligner ici : le respect des normes internationales impliquent le respect des différentes résolutions des Nations Unies qui ont affirmé à multiples reprises le droit du peuple sahraoui à un référendum d'autodétermination, afin de se prononcer sur son devenir. On voit donc très mal comment ces principes de bases, à l'Šuvre dans tout processus de décolonisation, pourraient être compatibles avec, je cite, la "souveraineté et l'intégralité territoriale du Maroc", dans la mesure où celles-ci se fondent sur le fait accompli de l'invasion et de l'occupation par la force des territoires du Sahara Occidental. Il est incompatible, et gravement incohérent de vouloir faire croire qu'une solution politique négociée directement entre les deux parties, qui respecterait la soi disant souveraineté et intégralité territoriale de l'occupant qu'est le Maroc puisse être compatible avec la stricte application du plan de paix : il est évident que l'accès à l'indépendance du peuple sahraoui est aux antipodes de la légitimation de la présence de l'occupation marocaine dans les territoires du Sahara Occidental.

D'ailleurs, au mois d'octobre 2000, l'Assemblée Générale tout en réaffirmant l'essence de décolonisation du conflit a rappelé avec force l'attachement de la communauté international au plan de paix et au droit du peuple sahraoui à se prononcer sur son destin par un référendum d'autodétermination.

Cette rhétorique témoigne tristement de la tentation de faire dévier le processus actuel en imposant une solution au conflit du Sahara Occidental qui sortirait du cadre du plan de paix, devant la perspective de plus en plus certaine pour le Maroc de perdre un référendum libre et régulier. Cette tentative a d'ailleurs un nom : c'est cette fameuse 3ème voie, avec laquelle il est clair que le Maroc cherche à forcer la main de la communauté internationale, aidé en cela par la France.

Soyons absolument clair là-dessus : il n'y a aucune autre voie acceptable pour le peuple sahraoui que le processus référendaire dont l'organisation est la raison d'être de la présence de la MINURSO. Il n'est pas question, pour le peuple sahraoui, d'abdiquer son droit à la tenue d'un référendum d'autodétermination, lequel constitue l'expression naturelle d'un peuple opprimé à choisir sa liberté et sa dignité. Face au manque de volonté politique du Maroc, face aux manŠuvres en sous main de ceux qui appuient cette attitude, il est important de rappeler ce qu'est la position du Front Polisario, à savoir, que tout abandon du plan de paix ne peut être considéré que comme une rupture du cessez-le-feu en vigueur depuis 1991 et qu'il mettra fin à la présence de la MINURSO au Sahara Occidental.

Mais pour nous tous, ici réunis, le véritable risque dans l'immédiat, est d'un autre ordre : le problème n'est pas de savoir si les hostilités peuvent reprendre, mais de les prévenir. Et pour les prévenir, il faut s'en tenir à la légalité internationale et à ce qui a été laborieusement accompli au cours des 9 dernières années dans le cadre de l'application du plan de paix des Nations Unies.

L'on ne doit pas oublier que le plan de règlement a été élaboré au terme de quinze années de guerre meurtrière entre le Maroc et le Front Polisario. Comme il est indéniable que le peuple sahraoui qui a placé sa confiance dans les instances internationales, et fait preuve de patience pour que le référendum tranche pacifiquement le conflit, se sente aujourd'hui floué. Son amertume et sa frustration sont à la mesure des espoirs déçus. Il ne peut comprendre que ce référendum, hier si proche, si réalisable, devienne aujourd'hui une arlésienne parce que le Maroc allait le perdre assurément.

Pour se faire une idée de ce que coûterait l'abandon de ce processus qui a requis l'assentiment des 2 parties, il n'est pas besoin de regarder bien loin : il suffit de voir les événements qui se déroulent depuis plusieurs semaines au Proche Orient.

Et pour couper court aux spéculations stériles sur la possibilité même de tenir le référendum d'autodétermination, il suffit de tourner cette fois-ci les yeux vers le Timor Oriental, qui s'est prononcé, par référendum, sur son destin il y a un an et a réussi à se libérer du joug de l'occupant indonésien.

Nous devons donc tous prendre garde aux risques d'un processus de décolonisation mal mené, et aux résultats néfastes qui pourraient en découler.

Pour ceci, il est important de définir, et de clarifier les priorités pour l'année qui vient :

- Tout d'abord, il faut défendre, mordicus, le plan de paix et s'opposer aux tentatives pour sortir de ce cadre et qui ont pour nom " la 3ème voie ". Seul un référendum d'autodétermination, libre démocratique et transparent, est garant de la paix, de la stabilité, et ouvrira la voie à l'avènement d'un Maghreb réconcilié à lui même.

Si nous disons que la situation est grave, c'est aussi pour rappeler l'urgence et la nécessité pour les amis européens de faire preuve de vigilance et de volonté d'action au niveau politique, maintenant : il convient d'inscrire dans votre programme des actions précises envers l'Europe, notamment l'Union européenne, surtout au regard des résultats probants de votre action envers le Parlement européen.

Une des façons de mobiliser l'opinion internationale serait de faire circuler une pétition exigeant l'organisation du référendum d'autodétermination au Sahara Occidental signée par tous les parlementaires à travers le monde, et à renvoyer à l'adresse du Secrétaire général des Nations Unies, au Conseil de sécurité et à M. Baker.

Je tiens aussi à rappeler l'Espagne à ses responsabilités en tant qu'ancienne puissance coloniale et à la nécessité pour elle d'avoir un rôle politique cohérent avec la légalité internationale.

- Autre sujet d'inquiétude et d'urgence : la répression dans les territoires occupés par le Maroc se poursuit. Malheureusement, les médias internationaux en parlent très peu sous prétexte de donner une chance au nouveau roi ; Cette complaisance contribue en fait à passer sous silence les arrestations arbitraires, disparitions forcées, tortures, et autres exécutions extra-judiciaires, et banalise tout le problème des violations des droits de l'homme dans les territoires occupés. Il est donc nécessaire pour vous tous de garder un regard aigu et critique sur la question de la répression dans les territoires occupés. Ce n'est pas parce qu'il y a un nouveau roiŠet des " socialistes " au gouvernement marocain, que l'on doit se taire.

Par contre, dans ce contexte, il est urgent de travailler pour que des délégations européennes se rendent dans les territoires occupés et puissent constater par elles-mêmes de la situation qui y règne.

- Autre sujet qui demeure une priorité, et sur lequel nous vous encourageons à continuer votre mobilisation et votre soutien : la situation humanitaire dans les campements de réfugiés. L'année dernière ces campements ont connu une situation humanitaire qui s'est détériorée en raison de la suspension de l'aide en provenance de ECHO. A ce titre je tiens ici à dire à certaines ong, telles que Oxfam, Medico International, CISPE, MPDL, Solidaridad Internationale etc à quel point nous avons apprécié leurs efforts pour débloquer cette situation, grâce à l'action coordonnée que nous avons entreprise auprès des institutions européennes, notamment ECHO. Il faut donc continuer à Šuvrer pour que les gouvernements et les institutions augmentent leur aide humanitaire vu les besoins croissants de la population réfugiée. A ce sujet, il y a un point qui témoigne de cette urgence : cette année, le PAM a fini enfin par reconnaître que les réfugiés sahraouis qui ont besoin d'aide sont plus de 155 000 et non plus 80 000.

- Une tendance se dessine, que nous ne pouvons qu'encourager pour l'année qui vient : l'élargissement de la coordination européenne au-delà des frontières de l'Europe. Cet élargissement permet à la coordination de se transformer en un véritable forum de solidarité internationale avec le peuple sahraoui. La participation africaine est notamment de plus en plus importante, comme nous pouvons le voir avec l'importante délégation algérienne conduite par notre sŠur Mme Benhabyles. Nous nous réjouissons aussi de la présence de délégations venues du continent américain notamment l'imposante délégation du Venezuela.

- Nous devons souligner que l'EuCoCo a énormément contribué à une meilleure prise de conscience de l'Europe - On se rappelle notamment de la manifestation de Strasbourg après l'adoption par le Parlement européen d'une résolution sur le conflit du Sahara occidental. Toujours en Europe, les manifestations de solidarité se sont multipliés au niveau des pays eux-mêmes comme l'Espagne, l'Italie, la Suisse, la Belgique, la Suède, l'Allemagne, et la France etc.

Tout en souhaitant le succès le plus total à notre conférence, je vous exprime une fois de plus la reconnaissance du Front Polisario pour toutes les actions entreprises par le passé comme à l'avenir, dans le cadre de votre solidarité prouvée avec le peuple sahraoui.

Merci.

 


[HOME] [Conférence EUCOCO 2000]