AFAPREDESA
Association des Familles des Prisonniers et Disparus Sahraouis
SITUATION DES DROITS HUMAINS AU SAHARA OCCIDENTAL
Mai 1996
INTRODUCTION:
Depuis plus de 20 ans l'armée marocaine a envahi et occupé
une grande partie des territoires du Sahara Occidental en violation du droit
international reconnaissant à chaque peuple le libre exercice de
son droit à l'autodétermination et à l'indépendance.
Vingt ans de privation, de violations flagrantes des droits de l'homme et
des libertés fondamentales. Les arrestations arbitraires, le recours
à la torture et aux traitements inhumains et dégradants, les
déportations, les disparitions forcées, l'étouffement
des libertés d'expression et de circulation ainsi que les procès
inéquitables sont systématiquement pratiqués par les
forces marocaines d'occupation au Sahara occidental. Les graves atteintes
des droits humains perpétrées au Sahara occidental se traduisent
par une répression violente sur toute la population civile sahraouie
qui se trouve encadrée par un appareil répressif de plus de
250 000 agents marocains.
Vers la fin de 1975 et au début de 1976, les bombardements de la
population civile sahraouie avec des armes internationalement prohibées
(napalm, phosphore blanc...) ont causé des milliers de victimes et
l'exode massif des survivants vers la région de Tindouf (Algérie)
à la recherche d'un refuge, à l'abri de la barbarie de l'agression
marocaine. Actuellement plus de 160 000 d'entre eux vivent dans des conditions
extrêmement difficiles.
LES ARRESTATIONS ARBITRAIRES ET LES DISPARITIONS FORCEES:
Dès cette période, des vagues d'arrestations allaient se succéder
sans discontinuité jusqu'à ce jour, que ce soit dans les territoires
occupés ou que ce soit à l'interieur du Maroc et tout particulièrement
dans les régions de Tan-Tan, Tarfaya et Goulimine.
La répression a atteint une telle ampleur qu'il est légitime
de dire qu'il n'existe pas de famille qui n'a pas été touchée,
de près ou de loin, par des arrestations arbitraires. La quasi totalité
des personnes arrêtées ne sont jamais jugées ni condamnées.
La plupart d'entre elles disparaissent. Les personnes portées disparues
sont celles qui ont été arrêtées, au fil des
ans, par les forces d'occupation et dont la détention n'est pas reconnue
par les autorités marocaines. Bien que des informations concordantes
font état de cas de suites de tortures et autres traitements cruels
et dégradants, 43 personnes seraient décédées
à Agdz et Kalaat M'Gouna. De nouveaux éléments laissent
penser que certains, voire de nombreux disparus seraient toujours en vie
et incarcérés dans des centres secrets.
Malgré les recherches entamées par les familles sur place,
les interventions des organisations internationales, le Maroc n'avait jamais
voulu reconnaître cet état de fait. Mais, lorsqu'en juin 1991,
310 "disparus" sahraouis furent libérés de bagnes
secrets tels que ceux d'Agdz, de Skoura, de Kalaat M'Gouna, de El Ayoun,
la communauté internationale a bien dû se rendre à l'évidence.
Ce pays n'est pas seulement un petit "paradis" où l'on
pouvait passer d'agréables vacances ensoleillées mais aussi
celui de l'arbitraire le plus cynique où le régime n'hésitait
pas à faire croupir dans "les jardins secrets de son monarque"
et ce pendant des années, des êtres humains de tout âge
et tout sexe dans des conditions effroyables. Certains d'entre eux étaient
détenus depuis 1976, des dizaines ne sont jamais revenus. Cette libération
a soulevé tant d'espoir au sein des familles des disparus et des
ONG de défense des droits humains. On pouvait penser que les autorités
marocaines allaient enfin faire "amende honorable". Qu'en est-il
en réalité ?
Sur les 310 Sahraouis libérés, seuls six d'entre eux ont pu
quitter le Maroc clandestinement. Les autres sont dans une prison sans barreaux,
en résidence surveillée, n'ayant touché aucune indemnité,
n'ayant bénéficié d'aucun suivi médical après
ces longues années d'enfer. Ceux qui avaient une profession n'ont
pas pu retrouver leur emploi, et les familles qui ont su que l'un des leurs
y avait laissé la vie n'ont jamais pu obtenir d'attestation officielle
de décès. Les autorités marocaines continuent à
les harceler. Au début de mars 1996, le pacha de la ville de El Ayoun
occupée a interdit à tous les anciens disparus de professer
le métier de taxiste. Ceux parmi eux qui gagnaient leur pain quotidien
comme chauffeur de taxi ont été simplement licenciés.
Qui plus est, ce phénomène est d'actualité.
Une liste établie par l'Association des Familles des Prisonniers
et Disparus Sahraouis ( AFAPREDESA ) fait état de 526 personnes portées
disparues et ce jusqu'à aujourd'hui. Au début de l'année
en cours, un témoin oculaire (qui préfère garder l'anonymat
) aurait vu M. Hassana Omar Skana dans un bâtiment de la prison civile
de Kenitra. M. Hassana est parmi les Sahraouis disparus à la suite
de leur arrestation par les forces d'occupation marocaines. M. Hassana Omar
Skana est né en 1949 à El Ayoun. En 1987, il était
employé à la ville de Smara. La même année, il
fut appelé pour poursuivre un stage de formation professionnelle
à Casablanca. C'est dans cette ville qu'il aurait disparu à
la suite de son enlèvement par des éléments armés
habillés en civil. Il s'agirait des agents de la DST marocaine. Depuis
lors sa famille aurait perdu sa trace malgré les recherches engagées.
Le témoin affirme que M. Hassana serait encore en vie mais qu'il
est dans un mauvais état de santé à cause des dures
conditions de détention et la torture qu'il aurait subi. Selon le
même témoin d'autres disparus sahraouis seraient détenus
avec lui. Mais il n'est pas en mesure d'indiquer ni leur nombre ni leur
identité.
Les centres de Agdz, Skoura, Kalaat M'Gouna et El Ayoun sont-ils toujours
utilisés ? Il est difficile de se prononcer. Selon le
témoignage d'El Khadir DAOUD, ex-disparu libéré
en juin 1991, seraient restées à Kalaat M'Gouna cinq personnes
- deux sourds-muets et trois autres personnes de nationalités différentes
(1 Libanais, 1 Libyen, 1 Tunisien ou Marocain né en Tunisie). Le
centre CMI (Compagnie Mobile d'Intervention) à El Ayoun est toujours
actif.
En octobre 1992, des manifestations eurent lieu à Smara, El Ayoun
et Assa. Des centaines de personnes furent arrêtées ou blessées.
Un certain nombre parmi elles n'est jamais revenu. De même, à
la suite des manifestations qui ont eu lieu, en mai 1995, à El Ayoun,
une quarantaine de personnes sont toujours portées disparues.
LES PROCES INEQUITABLES:
Au Maroc, les affaires politiques se sont déroulées de façon
tout à fait particulière. En effet, après une garde
à vue prolongée dans les locaux de la police où ils
sont maintenus au secret, les détenus sont souvent contraints à
signer des aveux, ensuite ils comparaissent devant le procureur du roi ou
un juge d'instruction. C'est à ce stade là qu'ils sont informés
des charges qui pèsent sur eux. En ce qui concerne les rares cas
des Sahraouis traduits en justice, la procédure est pire encore:
la garde à vue peut durer des mois sans que les détenus aient
pu voir un avocat, les membres de sa famille ou un médecin, souvent
ils sont traduit devant un tribunal militaire qui les condamne à
de lourdes peines pour avoir exercé leur droit sans user de violence.
Le premier groupe sahraoui à être "jugé" fut
le"groupe des 26" ou "Groupe de Meknès". Les
26 personnes qui le composent, essentiellement des jeunes étudiants
mais aussi des personnes âgées, ont été arrêtées
au cours des vagues d'arrestations qui se sont déroulées en
1977. Après une longue période où ils étaient
détenus secrètement au centre Derb Moulay Ali Cherif à
Casablanca pour être transférés à la prison Sid
Said à Meknès, ils seront présentés, en petits
groupes de 5 à 7, en 1980, devant les tribunaux de Rabat, de Settat,
de Marrakech et d'Agadir. Les peines prononcées à leur encontre
seront de 4 à 5 ans de prison ferme. Tous seront soumis à
résidence surveillée après leur sortie de prison.
Toujours en 1980, un autre Sahraoui Mohamed DADACH, arrêté
en 1976, est condamné à la peine capitale en 1980 (commuée
en prison à vie en 1994) pour tentative de regagner les rang de l'ennemi.
Actuellement, il se trouve toujours dans le quartier "B", quartier
des condamnés à mort et d'isolement, à la prison civile
de Kenitra.
D'autres Sahraouis ont été jugés de façon inéquitable
et condamnés à de lourdes peines pour avoir participé
à manifestation pacifique ou pour avoir tenté de fuir la répression
marocaine. C'est notamment le cas de:
Six jeunes condamnés à 20 ans de prison ferme pour avoir pris
part à une manifestation non-violente à Smara et El Ayoun
en octobre 1992. Ils sont actuellement incarcérés dans une
caserne militaire à Bensergaou près d'Agadir. (Kaltoum
LOUNAT, no CICR 004071; Salek BAZID, no CICR 004072; Ali GHARABI, no
CICR 004073; Barrikallah ELBAR, no CICR 004074; Brahim JOUDA, no CICR 004075;
Mohamed BENOU, no CICR 004081)
Trente et une personnes arrêtées lors des manifestations pacifiques
à Assa en octobre 1992 et condamnées à une année
de prison ferme.
Quatre personnes arrêtées la même année pour avoir
tenté de fuir la répression marocaine et condamnées
à 5 années de prison et depuis, détenues la prison
de Inzegane (9 km de la ville d'Agadir)
Huit jeunes arrêtés lors des manifestations non violentes qui
se sont déroulées à El Ayoun le 11 et 12 mai 1995 et
condamnés à des peines allant de 15 à 20 ans de prison
ferme pour avoir osé exprimer de façon pacifique leur opinion.
Le 21 juin 1995, huit parmi eux ont été condamnés par
un tribunal militaire à Rabat, lors d'un procès inéquitable
et expéditif, à de lourdes peines allant de 15 à 20
ans de prison ferme. Il s'agit de :
- Ahmed Sid Ahmed LEKOURA
- Ahmed Salama LEMBARKI
- Abdelhay LEKHAL
- Mahfoud Brahim DAHOU
- Nabt Ramdane BECHRA
- Brahim BABA LARBI
- M'Rabih Rabou NISSANE
- Cheikhatou BOUH
Au cours du même procès, six autres jeunes Sahraouis ont été
jugés par contumace. Il s'agit de :
- Mohamed CHREIFI
- M'Hmed Mohamed SABBAR
- Mohamed HARKI
- Abdellah BIGA
- Haiba RAHMOUNI
- Said M'SAAD
Sous la pression internationale, les autorités marocaines sont revenues
sur leur condamnation sommaire des huit jeunes Sahraouis ayant participé
aux manifestations du 11 et 12 mai dernier. En effet le roi du Maroc s'est
vu contraint d'alléger leur peine à une année de prison
ferme au cours de son discours du 8 juillet 1995.
LES ASSASSINATS POLITIQUES:
Les autorités sont souvent impliquées dans les assassinats
des citoyens sahraouis hostiles à son occupation militaire du Sahara
Occidental.
En 1993, deux jeunes El Hafed KOTB et Said El Kairaoun ont été
liquidés à coups de matraques par des éléments
de la DST marocaine au centre des CMI ( Compagnie Mobile d'Intervention
) à El Ayoun.
A la fin de juin 1995, cinq autres Sahraouis ont été arrêtés
par les forces d'occupation à El Ayoun. L'un d'eux Ma Elainine Abdenbi,
serait décédé à la suite de la torture et aux
traitements inhumains et dégradants dont il a été l'objet
lors de sa détention illégale au commissariat de la police
judiciaire à El Ayoun. Ses restes mortels auraient été
rendus à sa famille.
Le 29 octobre 1995, le corps d'un ex-disparu de Kalaat M'Gouna Mohamed El
Bachir Moulay Ahmed (LEILI), a été retrouvé, près
d'une caserne militaire à la plage de El Ayoun. Le jeune était
sorti de chez lui l'après-midi du 25 octobre...Il aurait été
enlevé par des "personnes habillées en civil". Dix-sept
autres membres de sa famille dont son père, sa mère, sa soeur,
ses frères, ... ont été arrêtés pour la
plupart au début de 1976. Son père Feu Moulay Ahmed ( LEILI
) est décédé le jour même de sa libération
le 22 juin 1991.
Un nouvel assassinat est commis le 8 mars 1996. Cette fois-ci il s'agit
d'un enfant sahraoui de 15 ans. Il s'appelle Mouloud Sid Ahmed Alamin et
il était élève au collège du quartier de la
coopération Der Aidek à El Ayoun. L'auteur du crime n'est
autre que son soi-disant professeur un dénommé El Makaoui.
El Makaoui aurait frappé de façon barbare l'enfant sans défense.
Les coups de bâtons infligés à l'enfant et tout particulièrement
ceux qui ont atteint sa tête lui ont été fatal. L'enfant
serait mort sur-le-champ.
ROLE DE LA MINURSO:
La présence de la Mission des Nations Unies pour le Référendum
au Sahara Occidental ( MINURSO ) sur le territoire depuis le 6 septembre
1991 n'a rien changé à cette situation alarmante. Rappelons
que la MINURSO a pour mission de superviser et contrôler le Référendum
d'autodétermination prévu par le plan de paix des Nations
Unies et de l'Organisation de l'Unité Africaine accepté par
les deux parties au conflit. Le plan de paix prévoit entre autres
la libération des détenus politiques et l'échange des
prisonnier de guerre une semaine après l'entrée en vigueur
du cessez-le-feu. Non seulement l'ONU a été incapable d'appliquer
les dispositions du plan de paix mais aussi elle semble se soucier peu du
sort des centaines de disparus sahraouis dont elle a reconnu explicitement
l'existence. On peut se demander en toute légitimité pourquoi
ce silence de la part de la principale organisation garante du respect de
la Déclaration Universelle des droits de l'homme ?
Le moindre contact avec les casques bleus peut conduire à l'arrestation
arbitraire et la torture voire à la disparition ou la liquidation
physique. Des milliers de citoyens sahraouis sont privés de leur
droit de participation au référendum prévu. Certains
avaient rempli des formulaires de candidature dans les centres marocains
mais ne figuraient pas sur les listes des personnes convoquées par
la Commission d'identification. D'autres figuraient sur la liste pour être
identifiés mais les autorités marocaines leur refusaient l'accès
aux centres d'identification.
Des centaines d'autres Sahraouis sont déportés vers le Maroc
au moment même où les autorités marocaines inondent
les territoires occupés du Sahara occidental par des vagues de colons
marocains que le Maroc veut imposer comme votants potentiels au référendum.
Les cris de détresse que l'AFAPREDESA a lancé à l'ONU
et à la MINURSO pour qu'elles prennent leurs responsabilités
et sa demande d'enquêter sur les graves violations des droits de l'homme
commises au Sahara Occidental sont restés lettre morte.
CONCLUSION:
Les violations des droits de l'homme au Sahara occidental ne se limitent
pas aux atteintes décrites dans les paragraphes précédents.
En effet, les autorités marocaines continuent de limiter considérablement
le mouvement des citoyens sahraouis. Ainsi rares sont ceux qui sont en possession
d'un passeport. Toute activité associative ou politique est interdite.
La liberté d'expression est inexistante: aucune publication n'est
autorisée. Les territoires occupés sont interdits à
la presse internationale et aux observateurs indépendants.
L'AFAPREDESA reste très préoccupée par la persistance
des violations des droits de l'homme. Par ses actes odieux, le Maroc persiste
délibérément dans sa politique de violations systématiques
des droits de l'homme et des libertés fondamentales au Sahara occidental.
On ne saurait trouver une explication autre que l'impunité dont il
jouit.
C'est pourquoi nous demandons avec insistance à la communauté
internationale une action urgente et efficace garantissant le respect des
droits humains au Sahara Occidental.
Nous vous prions de vous joindre à nous pour que soit définitivement
mis fin à ces graves violations des droits de l'homme au Sahara Occidental.
Human Rights - Droits de l'homme,
Communiqués AFAPREDESA,
Western Sahara Homepage