LIENS MEDITERRANENS

  Rencontre des sociétés civiles
pour la paix, la justice, les droits, la démocratie

ROMA, 24/25/26 NOVEMBER 2006



Intervention
 
de
Djimi El Ghalia

vice-présidente de l'Association sahraouie des victimes de violations graves de droits de l’homme perpétrés par l’état Marocain, ASVDH


Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Bonjour, permettez-moi, tout d’abord, de saluer chaleureusement tous les organisateurs, les traducteurs et les participants à cette rencontre MEDLINK qui se veut un espace de tolérance, d’échange et de paix pour toutes les personnes et tous les peuples.
Notre monde actuel, à l’ère de la mondialisation, est soumis à l’hégémonie des grandes forces économiques et militaires, et souffre d’un grand nombre de phénomènes néfastes et inappropriés aux aspirations de l’humanité qui rêve de prospérité, d’harmonie et de paix. Cette hégémonie qui ne cesse de reproduire les inégalités sociales et économiques, s’oppose aux aspirations des peuples qui continuent de mener des luttes acharnées et sans haleine pour l’instauration d’un monde meilleur, un monde où les droits collectifs et individuels sont garantis, un monde juste qui garantisse une distribution équitable des richesses.
Sur cette base de cette contradiction qui conditionne le conflit précité, la lutte contre les guerres et le colonialisme est strictement liée à la lutte pour la démocratie et les droits par le fait que les deux sont les extrémités qui marquent les limites entre les deux camps, les peuples et les forces hégémoniques mondiales.
Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme, nous devons rester vigilants quand à l’usage de cette notion. Le terrorisme n’étant qu’une forme de rejet des tendances hégémoniques et une expression désespérée d’une recherche d’égalité tant au niveau social qu’au niveau économique.
Aussi, devons-nous affirmer que les crimes commis par des terroristes contre des citoyens civils sont vivement condamnés autant que le sont toutes les politiques visant à asservir les peuples. En outre, ne nous partageons guère la notion de terrorisme telle qu’elle est véhiculée par les médias et certains discours politiques, qui vise au fond l’étouffement des luttes des peuples et de priver ces derniers de leur droit à la lutte contre toute injustice. Cette notion néglige également le terrorisme d’Etat auquel sont soumis tant de peuples que ce soit par leurs gouvernements ou par des Etats étrangers. La réalité au Moyen Orient et au Sahara Occidental en sont des exemples pour n’en citer que ces deux.
De là nous concluons, d’une manière assez rapide, que le terrorisme n’est qu’un symptôme de la crise d’un ordre mondial unipolaire et que la lutte doit se focaliser sur la cause de la crise et non sur ses symptômes.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs.

Le peuple du Sahara Occidental, mène, donc, une lutte pour la décolonisation de son territoire, un droit que les Nations Unies lui ont reconnu depuis 1966. Cette lutte a connu trois grandes phases : l’une couvrant la période de la lutte armée, et ce depuis 1973 jusqu’à 1991, et l’autre couvrant la période allant de 1991, l’an de la mise en application de l’accord de cessé-le-feu supervisé par l’ONU et qui s’inscrivait dans le processus de l’application du plan de règlement pacifique de l'OUA et l'ONU, jusqu’à 2005 ; la troisième commence depuis mai 2005, date du déclenchement d’une vague de manifestations pacifiques réclamant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
L’usage de la violence par les forces répressives marocaines était sans limite . Des centaines de victimes de la torture ont été enregistrées, des dizaines de maisons violées et saccagées, et des dizaines de détenus soumis à des jugements iniques sans aucun respect de normes de procès équitables. Ce bilan s’ajoutant à un autre plus lourd des années dites de plomb, avec des crimes contre l’humanité et des génocides commis contre la population sahraouie par les forces militaires et sécuritaires marocaines. Le territoire est soumis à un état de siège non déclaré, et vit depuis 1975 et pour y accéder il faut afficher une sympathie claire et nette à la thèse officielle marocaine sur le conflit.
Malgré ce climat de violations graves des droits de l’homme, de crimes contre l’humanité et crimes de guerre, la société sahraouie ne cesse d'évoluer vers la réclamation de ces droits légitimes par les voies pacifiques . Devant la barbarie nous n'avons pu  trouver que la recherche acharnée de la paix  ou la dignité humaine soit scrupuleusement respectée. Nous devons cette détermination à nos martyrs, à nos disparus et aux  survivants des bagnes secrets de l'enfer à KALAAT MEGOUNAT, AGDEZ et El-Ayoune. Ces rescapés qui ont été libérés en 1991 (un groupe de 321 personnes dont 73 femmes), et qui sont arrivés à surpasser la terreur semée par le Maroc, avaient créé un comité de coordination, en 1994, première organisation de son genre dans le territoire sous l’administration du Maroc, et faisaient du porte à porte devant les ministères du Maroc, les médias, les ONGs des droits de l’homme, les représentations diplomatiques et les partis politiques pour expliquer leur dossier et demander du soutien. Cette première démarche marquait les premiers pas d’une société civile en émergence. Un grand nombre de comités et d’associations dans les différentes villes du Sahara Occidental ont été créés. Cette société civile sahraouie, sous l’administration du Maroc, avait focalisé sur deux volets : le premier étant la création d’un nombre d’associations selon les besoins de la population ; le deuxième étant le tissage de relations de solidarité, d’entraide et d’échange avec la société civile dans différents pays.

Cette société civile est donc consciente que la lutte pour les droits et la démocratie est strictement liée à la lutte contre le colonialisme et la guerre. Cette conscience dérive de l’expérience vécue durant plus de trois décennies de terreur permanente qui continue de s abattre sur la population sahraouie.
Certes, la tâche n’était pas aisée et les aspirations affichées étaient ambitieuses, surtout devant les contraintes suivantes :
  1. Le territoire du Sahara Occidental est soumis à un embargo militairo-sécuritaire et médiatique depuis 1975. le mouvement des sahraouis est soumis à un contrôle serré, soit au sein du territoire, soit du territoire vers le Maroc ou du territoire vers l’étranger.
  2. Le peuple sahraoui vit dans des conditions de vie très médiocres. Les enfants quittent les écoles à un age précoce et deviennent victimes de la délinquance, d’abus de drogue et de criminalité.  Les jeunes sont victimes de chômage, d’exclusion et de marginalisation et se poussent vers les îles Canaries à la recherche de meilleures conditions de vie mais aussi pour fuir toutes les atrocités auxquelles ils sont sujets quotidiennement. L’immigration clandestine est devenue aussi une solution pour les autorités marocaines pour se débarrasser de ces jeunes qui les dérangent tant.
  3. Le peule sahraoui est soumis à des formes horribles de discrimination, au niveau social et économique, de même qu’il est objet d’exactions quotidiennes dont sont victimes hommes, femmes , enfants, vieux et jeunes.

Hâtivement nous retenons de l’expérience de cette société civile en évolution, les conclusions suivantes :
  1. la lutte pour la démocratie et les droits est strictement liée à la lutte contre les guerres et le colonialisme du fait que le colonialisme et les guerres ne sont que des aspects d’un ordre mondial générant l’exclusion, la pauvreté, la famine et tant d’autres formes d’inégalités
  2. L’ancrage d’une solidarité entre les peuples et la lutte pour une distribution équitable des richesses tant au niveau local qu’au niveau global, permettra de cultiver une pensée humaine universelle se basant sur une conviction ferme que le sort de l’humanité réside dans son unification, et que cette dernière passera d’abord par des coalitions régionales pour arriver à une unification au niveau international. Cependant cette coalition régionale ne pourra jamais répondre aux aspirations réelles des peuples tant que ces derniers ne peuvent pas disposer eux-mêmes de leur sort et puissent choisir librement leur avenir et le mode socio-économique et culturel qui réponde le plus à leurs aspirations.
  3. La consolidation des institutions de la société civile étant un point d’appui important pour toute aspiration à un monde meilleur vu que cette société civile est la plus qualifiée aujourd’hui tant au niveau de la théorie qu’au niveau de la pratique à contrecarrer les politiques des gouvernements visant à perpétrer la domination d’une minorité et l’exclusion de la grande majorité.
  4. La création d’un réseau régional capable d’agir et de mobiliser les masses est d’une importance première pour la réussite de toute approche d’unir les peuples de la région.

Donc, je suis ici  avec l' espoir que tous les participants nous comprennent et soient l'écho de notre voix opprimée sur les rives de la Méditerranée .

Réfléchissons-nous tous, comme des sociétés civiles avant que les gouvernements trouvent une solution équitable au problème de Sahara Occidental, à respecter les droits de l’homme , à assurer les libertés fondamentales, à protéger  les citoyens Sahraouis qui défendent leur cause pacifiquement et à libérer les prisonniers politiques et défenseurs de droits de l’homme  Sahraouis.

Finalement avant de terminer, je veux me présenter en bref.
Je suis vice-présidente de l’Association sahraouie des victimes de violations graves de droits de l’homme perpétrés par l’état Marocain, fondée en mai 2005 et qui n’est pas reconnue par le Maroc. Je suis une  citoyenne sahraouie qui a vécu dans sa propre chair les atrocités de l’oppression qui continue de régner au Sahara Occidental, territoire non autonome soumis à l’invasion marocaine depuis le 31 octobre 1975. En effet, j’ai été séquestrée le 22 novembre 1987, à la veille de la visite de la Commission technique de l’ONU chargée d’évaluer  les besoins pour la tenue du Référendum d’autodétermination au Sahara Occidental. J’ai été parmi  70 personnes, hommes et femmes, disparues pendant plus de trois ans et demi dans des conditions effroyables. Mal nourries, mal vêtues, les yeux bandés , constamment soumises à la torture par des méthodes les plus brutales et les plus inimaginables. A ces séances participaient même des chiens dressés dans le but d’anéantir notre détermination.

Mais ce qui continue de chagriner mon cœur c’est la disparition forcée de ma grand-mère, Fatimatou Abbaad, disparue depuis sa détention en 1989 à l'age de 60 ans. Ma grand-mère, que nous appelons Amma, en signe de chérissement, représentait tout pour moi. C’est elle qui était le père, la mère, l’éducatrice et l’amie attentive.
Je continuerai à lutter avec toute ma force et ma détermination pour connaître le sort de Amma Chérie et de tous les disparus sahraouis qui se comptent par milliers. Les autorités marocaines continuent de nier leur existence .
Merci 

--> vois aussi le Témoignage de Mme ID JIMMI EL GHALIA lors des premières auditions publiques alternatives des victimes des années de plomb organisées par l'Association marocaine des droits humains, AMDH, le 12.02.05 à Rabat.

 [HOME]