Chronologie des représailles subies par un défenseur des droits humains au Sahara Occidental

 

Moutik Lahoussine est un ancien détenu politique sahraoui, condamné en 1977 à cinq ans de prison, militant des droits de l'Homme au Sahara, président de la section Sahara du Forum Vérité et Justice, marié, père de trois enfants, il est actuellement visé par une série de mesure de persécution visant à l'intimider dont voici la chronologie.

DATE

EVENEMENTS

12/02/2002

Rencontre de la délégation ad hoc Sahara Occidental du parlement européen, présidée par Mme CATHERINE LALUMIERE, avec des membres de la société civile, y compris des défenseurs des droits de l'homme, à Laayoune, Hôtel Parador. Moutik Lahoussine a participé à cette réunion. La rencontre a eu lieu sur demande de la commission européenne. La question de la protection des membres de la société civile a été soulevée par ceux-ci. La commission &endash; comme l'a affirmé la présidente &endash; a donné toutes les garanties que les participants à la rencontre ne subiront pas d'intimidation de la part des autorités marocaines suite à cette rencontre.

21/02/2002

Moutik Lahoussine fut informé, oralement, par le chef du service du personnel, de la décision prise par la société SEPOMER SAHARA SARL de son renvoi du travail, sans fournir aucune explication ni raison de licenciement. La société n'a remis aucun écrit justifiant cette décision, contrairement à ce que prévoit la législation dans de tels cas.

21/02/2002

Moutik Lahoussine a envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception, au PDG de la société SEPOMER SAHARA SARL, dont l'objet était de lui demander les raisons de son licenciement.

21/02/2002

Lettre de demande de soutien adressée à l'A.M.D.H par Moutik.

06/03/2002

Lettre adressée par Mme CATHERINE LALUMIERE à M. DRISS JETTOU, Ministre de l'intérieur du Maroc, à travers laquelle elle exprime l'inquiétude des membres de cette délégation suite au licenciement du président de la section Sahara du FVJ, qui serait directement lié à la participation de l'intéressé aux entretiens qui ont eu lieu à l'initiative de la délégation européenne. Une copie de cette lettre a été adressée à Messieurs :

M. MOHAMED BEN AISSA ministre des affaires étrangère et de la coopération

M. MOHAMED RADI président de la chambre des représentants

Mme AICHA BELARBI ambassadeur à Bruxelles.

08/03/2002

L'A.M.D.H. a envoyé une lettre à la société SEPOMER SAHARA SARL pour lui demander des informations et pour mettre un terme à la mesure de licenciement du 21/02/2002.

14/03/2002

La société SEPOMER SAHARA SARL a signé l'accusé de réception de la demande adressée à son PDG et dont il est question dans le passage sur les raisons du licenciement de Moutik. Malgré cela elle n'a pas donné suite à cette requête.

20/03/2002

Moutik Lahoussine a saisi la justice de l'affaire (licenciement abusif), en s'adressant au tribunal de première instance de Laayoune, affaire inscrite sous le numéro 32/2002.

25/03/2002

Réponse du ministre de l'Intérieur DRISS JETTOU à Mme la présidente CATHERINE LALUMIERE, il l'informe qu'il a diligenté une enquête, dont les conclusions indiquent que le président de la société, qui fait valoir le statut privé de son établissement, a décidé du licenciement de son employé le 9 février 2002. Il précise, en outre, que la mesure est d'ordre professionnel et n'a aucun lien avec la participation de l'intéressé aux entretiens avec la délégation européenne.

27/03/2002

Communiqué du Forum Vérité et Justice section Sahara, dénonçant les mesures de persécutions qui ont visé les membres de la section, en citant les cas de M. Eddymaoui Abdessalem, M. Ennassiri Ahmed, M. Elmoussaoui Edkhil, M. Mohamed Elmoutaouikil et M. Moutik Lahoussine.

18/04/2002

Lettre adressée par la Section Sahara au bureau du Forum Vérité et Justice, l'informant de la poursuite des persécutions visant les militant de la section, en citant les cas de M. Ali Salem Tamek, M. Mbarek Hadaoui et M. Ismaili Brahim.

18/04/2002

Moutik a adressé une mise au point à Mme CATHERINE LALUMIERE, présidente de la délégation européenne, concernant la réponse du ministre de l'Intérieur Driss Jettou. A propos de l'enquête évoquée par le ministre, il affirme qu 'elle s'est limitée à entendre l'autre partie, et qu'il n'a pas été contacté par ce ministère pour exposer sa version des choses. Il n'a obtenu aucun écrit justifiant le licenciement, malgré les nombreuses démarches. Il n'a pas reçu de solde de tout compte, ni même le salaire du 02/02, ce qui exprime une volonté de vouloir l'affamer et de vengeance, qui ne peut être une volonté de la société !!!, mais de ceux qui ont imposé cette décision. Le ministre parle du recours à la justice, démarche faite par Moutik. La réponse est que la justice marocaine aura à se prononcer sur la nature abusive du licenciement et non pas sur ses raisons politiques, qui est le fond du problème. Vue la dépendance de la justice marocaine du pouvoir exécutif, la cour ne rendra son verdict qu'après des mois voire des années, et celui-ci sera le moins défavorable possible à la société.

Il termine sa réponse en établissant des rapprochements entre son cas et les intimidations dont furent l'objet les autres membres entendus par la commission européenne ad hoc Sahara Occidental.

25/04/2002

Première audience : La cour reporte l'audience au 23/05/2002, à cause de l'absence de l'autre partie, la société SEPOMER SAHARA SARL.

30/04/02

Lettre ouverte adressée au ministre de l'Intérieur, M. Driss Jettou, par le bureau exécutif du Forum Vérité et Justice, au sujet des mesures de persécution &endash; licenciement, gel de salaire et transfert abusif &endash; dont sont victimes des membres de la section Sahara. Le bureau cite les cas de Moutik Lahoussine, Mohamed Moutaoukil et Ali Salem Tamek. Le bureau demande que ces persécutions cessent.

23/05/2002

Deuxième audience : la cour accorde un délai à la société pour préparer sa défense.

06/06/2002

Troisième audience : la société affirme au tribunal qu'elle n'a pas procédé au licenciement de M. Moutik Lahoussine. Celui-ci aurait quitté de son propre gré son travail. Elle contredit M. Dris Jettou, ministre de l'Intérieur, qui prétend, dans sa réponse à Madame LALUMIERE, que c'est une mesure d'ordre professionnel.

13/06/2002

Quatrième audience : la cour reçoit la réponse de Moutik Lahoussine, qui attire l'intention de celle-ci sur les contradictions de l'autre partie (la société Sepomer Sahara SARL). La cour décide de délibérer, et fixe la date du 11/07/2002, pour se prononcer.

11/07/2002

Cinquième audience : la cour décide de ne pas délibérer, suite à la demande de l'avocat représentant la société Sepomer Sahara sarl, pour permettre à des témoins de se présenter, afin de prouver que Moutik Lahoussine a quitté le travail de son propre gré ! La date de l'audience est fixée au 12/9/2002.

26/08/02

Après plus de sept mois au chômage, d'autres employeurs ayant signifié leur peur de subir des pressions de la part des autorités, s'ils décident de l'embaucher, ne disposant d'aucune source de revenu, Moutik a créé l'entreprise SERFINET SNC, dont l'objet est service fiduciaire, conseil de société et informatique. Ainsi il compte subvenir aux besoins de sa famille.

12/09/02

Sixième audience : SEPOMER SAHARA SARL n'a pas présenté de témoin comme elle le prétend. L'affaire sera reportée pour absence du représentant de celle-ci au 03/10/02.

24/09/02

Après avoir accompli certaines formalité &endash; enregistrement du capital, dépôt des statuts au tribunal, publicité au journal et au bulletin officiel, la société SERFINET SNC dépose une demande d'inscription au registre du commerce, formalité qui se fait en 24 heures.

Malgré le fait que la société est effectivement enregistrée au registre du commerce, car elle a payé tous les droits exigibles, le secrétaire greffier en chef du tribunal de première instance à Laayoune refuse de délivrer l'attestation d'inscription, formulant chaque fois un prétexte différent. Depuis lors la procédure de constitution de la société SERFINET SNC est bloquée.

03/10/02

Septième audience : la cour décide de convoquer toutes les parties pour arbitrage, dont la date est fixée au 31/10/02.

31/10/02

Huitième audience : la cour décide le report au 28/11/02 pour permettre à l'avocat de la société SEPOMER SAHARA SARL de donner son avis concernant l'arbitrage.

14/11/02

Le siège de la société SERFINET SNC est visité par des éléments des forces de l'ordre, la préfecture menace de fermer les locaux de la société, sous prétexte d'inexistence d'autorisation administrative. Or c'est une formalité à accomplir après l'inscription au registre du commerce.

21/11/02

A 0 h 30 min, au moment où Moutik stationnait sa voiture devant sa maison, il fut interpellé par deux membres de la compagnie mobile d'intervention CMI, l'un d'eux hurlait en lui ordonnant de montrer ses papiers. Moutik lui a demandé les raisons d'un tel comportement. L'agent CMI lui affirma qu'on lui avait communiqué ce soir à 20 h, alors qu'il reprenait son service, l'immatriculation 27-8-1, qu'il devait arrêter ce véhicule et vérifier l'identité du conducteur. Ce véhicule est bien celui de Moutik. Dix minutes plus tard, une fourgonnette de la police, dont l'immatriculation est 123377 p, arriva sur les lieux, deux officiers et plus de six policiers en descendirent. Ils procédèrent à la vérification des papiers de la voiture. Puis ils ont voulu faire remplir par Moutik une fiche de renseignement, ce qu'il a refusé. Il a demandé avant toute chose qu'on l'informe sur la nature de l'infraction commise - s'il y a infraction &endash; et sur les causes de cette intimidation. Il leur a dit qu'un tel acte, tard la nuit, devant des membres de sa famille, des voisins, des passants, était une atteinte à sa dignité.

Les deux officiers n'ont pu donner aucune raison ni explication, ils prétendaient eux aussi agir sur ordre. Il a dit à ces deux personnes qu'il protestait énergiquement et refusait un tel acte, et que c'était une persécution, qui le visait personnellement en tant que président de la section Sahara du Forum Vérité et Justice, et en tant que militant des droits de l'homme dans la région. A une heure du matin, les policiers se sont retirés, sans fournir aucune explication, ni raison d'une telle mobilisation policière. Leur réponse était, si vous voulez en savoir plus, vous devez contacter le commissaire divisionnaire à Laayoune.

D'ailleurs, Moutik a déposé une plainte auprès du procureur général, cour d'appel de Laayoune, sous le numéro 145/02 p du 21/11/02.

Le même jour à 8 H 30 min, Aminatou Haidar, ancienne disparue sahraouie et militante des droits de l'Homme au Sahara a été victime de la même intimidation. Elle a déposé une plainte auprès du procureur.

CONCLUSION

Il ressort de ce récit chronologique des faits que la décision de licenciement n'est pas motivée par des raisons professionnelles, mais par la volonté de vouloir affamer une famille, en imposant l'interdiction de travailler au père. Il est clair que la justice ne tranchera pas rapidement, et que les autorités utilisent le temps pour soumettre Moutik à leur volonté. Ceci est confirmé par le blocage de la constitution de la société SERFINET SNC, et par la volonté des autorités de vouloir fermer ses locaux. A cela s'ajoutent les nombreuses convocations, interrogatoires et affaires en cours concernant un certain communiqué de la section Sahara du Forum, manifestation du 1er mai 2001, le-dit rapport sur la situation des droits de l'homme au Sahara Occidental, la constitution du Comité d'action pour la libération de Dadach et tous les détenus politiques sahraouis, et d'autres dossiers ouverts concernant les activités de la section. La récente persécution &endash; du 21/11/02 &endash; ne sera sûrement pas la dernière. Comme il l'a affirmé au procureur général, dans sa plainte, il est visé parce qu'il est le président de la section Sahara du Forum Vérité et Justice, et parce qu'il est un défenseur des droits de l'homme dans la région.

Son cas n'est pas unique, surtout depuis la rencontre avec la commission du 12/02/02. Plusieurs membres de la section Sahara du Forum Vérité et Justice et des militants des droits de l'homme sahraouis sont actuellement visés par des mesures d'intimidation. Cinq membres de la section, ont été arrêtés. Ennassiri Ahmed attend, depuis le 19/06/02, d'être jugé.

Son procès a été reporté pour la sixième fois. Ali Salem Tamek , arrêté le 26/8/02, est condamné à deux ans de prison ferme. Edddimaoui Abdessalam , arrêté le 28/8/02, est acquitté après deux mois d'emprisonnement. Bazaid Salek arrêté depuis le mois 09/02, attend toujours d'être jugé. Tirsal Mohamed a été arrêté le 25/6/02, durant une nuit, puis relâché. Tous ces militants sont des congressistes au premier congrès national du Forum Vérité et Justice. Ennassiri Ahmed et Bazaid Salek sont actuellement incarcérés à la prison Lakhal de Laayoune, où les conditions de détention sont atroces et inhumaines (80 personne par 18 m carré), l'interdiction des visites et leur limitation aux personnes portant le même nom de famille, le mauvais traitement des familles lors des visites, l'absence de soins …etc.

Les cinq militants affirment avoir été torturés et maltraités dans les locaux de la police. Bazaid Salek avait les yeux bandés et a été torturé à tel point qu'il a perdu connaissance.

Une autre forme de persécution est le gel du salaire, cas de Hamad Hmad et Ismaili Brahim depuis le mois 3/02. Le bannissement déguisé - transfert du lieu de travail à une autre ville sans en avoir fait la demande - cas de Mohamed Elmoutaoukil le 22/11/01, Ali Salem Tamek le 15/4/02, Abddaim et Elhamed Mahmoud le 13/6/02. Depuis 10/5/02, les véhicules de Hmad Hamad et Elhafed Aamar et Ismaili Brahim ont fait deux mois de fourrière sans raison apparente.

Le 13/5/02, ces trois personnes furent arrêtées de 10h à 22h et ont été maltraitées, insultées. Hmad Hammad a même été torturé. Convocation et interrogatoire par la police judiciaire des quinze membres du bureau de la section durant les mois 06/02 et 07/02. Et d'autres militants des droits de l'Homme Aminatou Haidar , Daddach Sidi Mohamed et Hmad Hammad.

Le cas Essalmani Mohamed, employé à Phos-boucrâa, membre de la section et congressiste au premier congrès du Forum, est intéressant. En effet lors d'un interrogatoire au poste de la gendarmerie de Boucrâa, le 18/10/02, le chef du poste lui infligea un mauvais traitement. Il l'a insulté, injurié et essayé de le terroriser. Il l'a même menacé de le frapper en agitant ses bras devant sa figure. Le drame est que l'objet de l'interrogatoire était un rapport destiné à la presse locale, ayant pour objet le mauvais traitement subi dans les mêmes locaux de la gendarmerie quelques semaines auparavant par un autre employé de Phos- boucrâa. Sans oublier les persécutions dont est victime l'ancien détenu politique sahraoui Sidi Mohamed Daddach. Mais ceci est une autre longue histoire.

FAIT A LAAYOUNE LE : 25/11/2002


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