Sahara Occidental :
Rabat en colère contre la Suisse
Radio Suisse alémanique, 20.08.15
(script & trad par arso)
original en allemand:
Westsahara : Rabats Zorn auf die Schweiz
Echo der Zeit, Radio SRF1, 20.08.15
Le Sahara Occidental se trouve bien loin de la Suisse. Le conflit,
vieux de plusieurs dizaines d’années autour de ce territoire au
sud du Maroc, ne fait plus les gros titres depuis longtemps. Mais le
statut du territoire reste contesté. Sur les cartes
internationales il est souvent indiqué en traits
hachurés. Le Maroc parle de ses provinces du sud. La population
du Sahara Occidental parle d’une occupation militaire.
Et voilà que le Maroc reproche à la Suisse d'intervenir
dans ce conflit. Par une lettre pas très diplomatique
adressée au ministre des Affaires étrangères
Didier Burkhalter. Rafael von Matt nous en dit plus.
Le ton adopté est plutôt rare entre pays amis : « Le
Gouvernement du Royaume du Maroc a pris note, avec étonnement, …
» de la démarche de la Suisse, écrit le ministre
marocain des Affaires étrangères dans une lettre à
Didier Burkhalter, et plus loin : « Le Gouvernement du Royaume du
Maroc estime que le dépositaire a outrepassé gravement
ses prérogatives, ...
»
[lettre
complète du Maroc -
Notification du DFAE suisse du 09.07.15]
Mais quelle est donc la relation de la Suisse avec le conflit du Sahara
Occidental ?
La Suisse est l’Etat dépositaire des Conventions de
Genève. Elle est la gardienne de ces importantes conventions du
droit humanitaire international, par lesquelles 195 pays s’engagent
à respecter des règles lors de guerres et de conflits,
par ex. des règles pour la protection des civils et des
prisonniers.
Fin juin de cette année le mouvement de libération du
Sahara Occidental, le Front Polisario, a fait savoir qu’il entend
respecter dorénavant les règles des Conventions de
Genève et adhérer aux dites conventions. En tant que
gardienne de ces conventions, la Suisse se devait de
réceptionner et examiner la demande du Polisario, et comme,
selon une déclaration écrite du Département
Fédéral des Affaires Etrangères, « les
conditions légales pour valider la déclaration du
Polisario étaient remplies », la demande a donc
été acceptée.
Le Maroc quant à lui n’est pas du tout d’accord avec cette
démarche. Il craint que le Polisario ne soit ainsi
valorisé au regard du droit international. En acceptant sa
déclaration, la Suisse aurait pris parti en faveur du mouvement
de libération. C’est pourquoi le ministre marocain des Affaires
étrangères déclare : « Le Gouvernement
du Royaume du Maroc rejette cette déclaration (du Polisario) et
la considère comme nulle et non avenue. »
L’argumentation du Département suisse des Affaires
étrangères est toute autre. La déclaration a
été « examinée de manière impartiale
et la Suisse a pris sa décision uniquement en sa qualité
d’Etat dépositaire. La neutralité suisse n’est pas en
jeu. La Suisse n’a donc pas valorisé le Polisario »,
explique le DFAE.
Ce qui est exact sur le plan juridique, confirme Anne Peters,
professeure de droit international à l’université de
Bâle. Sur un plan juridique, s’entend. « Officiellement,
cela n’implique pas de valorisation, car la tâche de la Suisse ne
consiste qu’à vérifier formellement si la
déclaration a été déposée de
manière conforme. Au deuxième degré, dirais-je, au
niveau du discours politique, il y a valorisation. »
Par la reconnaissance des Conventions de Genève, le statut du
Polisario est amélioré. Il peut officiellement
apparaître comme le représentant de la population du
Sahara Occidental et son droit à l’autodétermination.
C’est ce que les Sahraouis réclament depuis des décennies
à l’ONU, mais un référendum voulu par l’ONU est
toujours bloqué par le Maroc.
Le Polisario a maintenant de meilleurs arguments, d’après la
juriste internationale Anne Peters : « Le Polisario obtient
de meilleurs arguments pour plaider en faveur de la
nécessité d’un vote sur l’avenir du territoire. Cela
pourrait être important par ex. pour la détermination des
personnes habilitées à voter.»
Le Sahara Occidental fait six fois la surface de la Suisse, en grande
partie steppes et déserts, mais riches en ressources naturelles.
Environ deux tiers du territoire sont occupés par le Maroc, et
depuis les années 80 séparés par un mur de la
partie administrée par le Polisario. Malgré les
succès diplomatiques du Polisario les perspectives pour les
Sahraouis sont incertaines. Elisabeth Baeschlin est présidente
du Comité suisse de soutien au peuple sahraoui, SUKS,
engagée depuis 40 ans pour le droit à
l’autodétermination des Sahraouis. Elle reste
réservée : « Je ne suis malheureusement pas
très optimiste, à l’instar de la population sahraouie
elle-même, cependant je pense que c’est un pas dans la bonne
direction.»
Néanmoins, sur le plan international, le Polisario pourrait
à l’avenir disposer de meilleures cartes.