ABDELLATIF LAÂBI

Le Maroc, malade du Sahara?
Une prise de position sur la question et sur l'actualité politique au Maroc

[paru dans Tel Quel du 1er juillet 2005]

Oui, c'est bien un cri d'alarme que je voudrais lancer ici. Le Maroc est actuellement entraîné, du fait de la question du Sahara, dans une dérive dont on ne mesure pas assez l'effet d'ébranlement qu'elle peut avoir sur nos acquis de ces cinq dernières années. Sans verser dans la thèse facile du complot, des questions de bon sens s'imposent : Qui a intérêt à une déstabilisation dont la menace se profile à l'horizon ? À qui profitera le chaos qui pourrait en résulter ? Les réponses qui viennent automatiquement à l'esprit, dictées par un réflexe pavlovien, désigneront les ennemis extérieurs, le front intérieur étant, lui, par définition, solide comme du béton et ses acteurs au-dessus de tout soupçon. Or il faudrait être naïf pour ne pas voir que ce sont les nostalgiques de l'ancien régime qui se frottent déjà les mains. Le boulet que le régime précédent avait attaché au pied de son successeur s'avère être une bombe à retardement qui fragilise l'élan réformateur actuel et en brouille le message. La situation est donc propice à un retour en arrière, avec comme détonateurs d'une part les tensions sociales et politiques internes que nous ne connaissons que trop, et d'autre part l'enlisement où nous nous trouvons concernant l'affaire du Sahara. Que ce retour se fasse dans l'engrenage de la violence et, pourquoi pas, à la faveur d'un conflit armé avec l'Algérie n'est pas pour déplaire à ces apprentis sorciers. N'ont-ils pas participé par le passé à la politique de la terre brûlée et usé des mêmes méthodes que le régime militaire voisin pour martyriser notre peuple et confisquer le projet démocratique né avec l'indépendance du pays ? Ils sont, à n'en pas douter, les complices objectifs d'un scénario catastrophe qu'il nous faut envisager avec lucidité. Et ce ne sont pas, hélas, les ténors de notre classe politique, englués dans leurs schémas figés, qui vont nous aider à éviter le pire. La misère de leur discours est telle qu'elle maintient la sclérose et empêche la réflexion de fond sur un problème complexe dont le traitement exige, outre le courage et la détermination, une véritable avancée de la pensée politique, porteuse d'une vision d'avenir.

Pouvons-nous envisager une telle avancée et accepter que les idées, même les plus dérangeantes, s'y confrontent librement ? Rien n'est moins sûr. Et c'est là un réel paradoxe de notre vie politique. Car, s'il y a un acquis de ces dernières années, c'est sûrement celui qui s'est concrétisé au Maroc par l'expression libre de la pensée. Bien des tabous, dont la transgression valait dans le passé les pires exactions, ont volé en éclats. Lignes rouges ou pas, le résultat est là, et il n'est pas mince. Il englobe tous les domaines et touche à tous les sujets sensibles. Le seul domaine où la fossilisation de la pensée reste la règle concerne le Sahara. La vision d'une sortie de l'impasse qui soit honorable, juste, profitable à l'avancée de notre projet démocratique et à la réalisation de nos aspirations au développement, mais qui prenne également en compte la dignité des populations sahraouies, leurs besoins économiques et sociaux, leur spécificité culturelle, cette vision fait cruellement défaut. Avons-nous innové en quoi que ce soit depuis l'ère du vizir Basri, où le traitement de ce dossier avait privilégié la dimension sécuritaire et la création d'élites locales soi-disant liées à nos intérêts, en réalité intégrées par cooptation à un système fondé sur la corruption et le trafic d'influence ? À peine découvre-t-on aujourd'hui qu'au Sahara il n'y a pas que des tribus et des chefs de tribus, qu'il existe aussi une opinion publique et des citoyens ordinaires dont la plupart sont des laissés-pour-compte de ce système, et qu'ils ont voix au chapitre concernant leurs conditions de vie, la gestion de leurs affaires et la construction de leur avenir. Il est tout aussi vrai que c'est récemment, à la suite des attentats de Casablanca, que l'on commence à découvrir le Maroc inutile, abandonné à sa misère et à sa détresse, proie facile des marchands du désespoir et de la haine. Mais on est bien obligé de constater qu'une telle prise de conscience est encore embryonnaire et n'est défendue que par une petite partie de la presse indépendante et quelques courants de la nouvelle gauche. Du côté de l'État et de la majorité de la classe politique, l'inertie est la seule énergie qu'on puisse constater, la prime de l'impuissance devant être attribuée à notre diplomatie, qui n'a jamais eu d'autre politique que réactive. Elle semble ignorer ce qui s'appelle l'initiative et, quand elle réagit à des faits accomplis, elle le fait avec une indigence devenue certainement proverbiale dans les chancelleries à travers le monde. Disons à sa décharge que ses gesticulations ne sont que l'expression d'une carence au niveau de l'État, prisonnier lui-même d'un consensus élevé au rang de dogme et d'un statu quo qu'il essaie de gérer tant bien que mal.

Comment penser et débattre librement dans cette atmosphère délétère où le terrorisme intellectuel bat son plein ? S'il y a bien ligne rouge, elle se situe là. D'un côté, nous avons les vaillants patriotes veillant à ce que même pas une virgule ne soit changée des thèses et des formules consacrées depuis le déclenchement de l'affaire. De l'autre, il ne peut y avoir que des traîtres ou des nihilistes gagnés à la cause des ennemis de l'unité territoriale. Je crois qu'il est grand temps, pour nous, Marocains, d'apprendre une autre langue que celle des perroquets quand il s'agit de patriotisme, et d'en finir avec le monopole attitré de certains en la matière.

Quel est donc ce patriotisme qui pratique la politique de l'autruche et pousse aveuglément un pays et un peuple droit dans le mur, sinon dans le précipice ? Le vrai patriotisme n'est-il pas au contraire celui qui a pour souci constant de prémunir notre peuple des malheurs et des souffrances qu'un conflit violent pourrait lui infliger ? Le Maroc n'a-t-il pas été suffisamment ruiné pendant des décennies d'arbitraire, de gabegie, de corruption, de mise à l'écart de régions entières du pays profond, pour qu'on l'expose, alors qu'il relève à peine la tête, à de nouveaux périls ? Le vrai patriotisme, dans le Maroc et le monde d'aujourd'hui, n'est-il pas celui qui se bat pour enraciner chez les citoyens la culture de la paix, de la tolérance et des valeurs démocratiques ? qui mobilise les énergies pour sortir le pays de l'impasse du sous-développement, de la sphère de la dépendance, et pour instaurer la justice sociale, assurer à tout un chacun le droit au bien-être matériel et moral, fondement de toute dignité ? Enfin, le vrai patriotisme n'est-il pas celui qui œuvre à construire les outils de la pensée libre et de la responsabilité du citoyen ? Quand on sait qu'il y a un autre péril en la demeure, à savoir l'extrémisme qui risque de nous entraîner dans d'autres folies meurtrières, il y a de quoi réfléchir. Sommes-nous incapables d'un sursaut de lucidité qui nous verra remettre sur la table tous les éléments de la question du Sahara, depuis sa genèse jusqu'aux développements tragi-comiques de ces dernières semaines ? Sommes-nous vaccinés définitivement contre l'analyse et le débat raisonnés, et dépourvus à ce point du grain de génie qui donne des ailes à l'imagination créatrice et permet de libérer le cours de l'Histoire ?

En fait, la question cruciale, incontournable, conditionnant la résolution de l'équation du Sahara, est à mon avis la suivante : Quel Maroc voulons-nous ? Celui auquel nous nous sommes habitués de gré ou de force, dont l'élan est plombé par tant d'archaïsmes et au premier chef par la confusion des pouvoirs et leur centralisation à outrance, ou celui qui donnera naissance à un nouveau projet de société, où les règles universellement admises d'une gouvernance démocratiques seront établies, inaugurant l'ère d'une citoyenneté pleine et entière ? Le choix entre les deux options est la clé du problème. Inutile de revenir sur le bilan désastreux de la première, la seule agissante jusqu'à maintenant sur le terrain. Elle nous a conduits à l'impasse et devient porteuse de périls. La deuxième, quant à elle, a au moins le mérite, alors qu'elle n'en est qu'à ses balbutiements, de secouer l'immobilisme et d'ouvrir d'autres pistes de réflexion et de débat. Je ne prétends pas à une première en la matière. Les idées allant dans ce sens se sont exprimées récemment, ici et là, notamment dans la presse, d'abord timidement, ensuite plus clairement, même si elles restent parfois enrobées de formules consacrées, dernière concession aux gardiens du dogme. Si, donc, notre option est bel et bien pour un État moderne, une gouvernance fondée sur les principes démocratiques, une politique sociale mobilisée contre les inégalités, la solution pour le Sahara découlera de ce choix et de l'application de ses principes directeurs. Pour cela, il faut mettre fin au dogme qui considère que l'État chez nous ne peut être que ce qu'il a toujours été. La modernité tant proclamée de nos jours n'est-elle pas le contraire exact de l'archaïsme ? Dois-je préciser que cette révolution dans les mentalités peut s'accomplir sans pour autant jeter aux orties certaines de nos traditions, et en premier lieu, pour être clair, l'institution monarchique ? Ce point étant réglé, rien ne s'oppose à ce que nous prenions exemple sur les États modernes qui ont opté pour un autre modèle que l'État jacobin. Cela va d'une union des États à l'institution dans le cadre de l'État central d'autonomies régionales pleines et entières, en passant bien sûr par le fédéralisme. Ne voyons-nous pas que chacun de ces modèles, dicté par autant de réalités particulières, fonctionne normalement en approfondissant l'idée et la pratique de la démocratie, l'exemple le plus proche de nous et le plus récent dans sa concrétisation étant celui de l'Espagne, dont nous devons méditer et mettre à profit l'expérience ?

Je sais qu'à ce stade de mon raisonnement on ne manquera pas de m'opposer l'argument massue de l'Histoire. À cela je répondrai : On ne peut pas en faire abstraction, mais doit-on pour autant en être les otages ? J'ajouterai qu'heureusement l'histoire d'un peuple n'est pas seulement derrière lui, mais devant lui. Comme toutes les œuvres humaines, elle est appelée à être déconstruite et reconstruite. Point de fatalité en la matière. Un peuple qui n'a pas l'ambition d'être le maître de son histoire et d'infléchir le cours de son destin se condamne à n'être qu'un figurant dans une pièce dont plus puissants que lui tireront toujours les ficelles. Dois-je rappeler enfin que l'Histoire avance par accumulations successives, et par ruptures salutaires aussi ?

C'est cette rupture sans violence, raisonnée, que j'appelle de mes vœux. Elle pourrait se traduire, pour l'affaire qui nous concerne, et au-delà pour la nation marocaine, par une initiative audacieuse, ferme et transparente, ouverte au plus large débat qui soit, couronnée à l'arrivée par un référendum populaire. L'idée, on l'aura deviné, étant une réforme constitutionnelle majeure visant à instaurer au Maroc un État de type nouveau, définitivement ancré dans la modernité, où certaines régions, suivant le choix libre de leurs habitants, accéderont à l'autonomie et pourront s'autogouverner au sens plein du terme, l'État gardant les prérogatives admises en pareil cas, selon un modèle qui devra être affiné en fonction de la spécificité de nos institutions. Il est évident que, dans le cadre de ce projet, un soin particulier devra être apporté à la composante sahraouie, en impliquant réellement les populations dans le débat, sans parler des mesures à prendre, comme gage de sincérité et de simple justice, pour mettre fin à la politique du tout-sécuritaire et pour s'attaquer aux urgences socio-économiques et culturelles. Les Sahraouis pourront ainsi s'assurer de la véracité du projet qui leur est proposé et découvrir non seulement qu'il répond valablement à leurs intérêts et aspirations, mais qu'ils en seront des partenaires et des acteurs à part entière.

Voilà une perspective autrement plus porteuse de paix, d'espoir, de développement humain et matériel, de solidarité fraternelle, que celle qui leur est promise par Mohammed Abdelaziz qui, soit dit en passant, reste prisonnier d'un arsenal dogmatique qui n'a rien à envier à celui de nos gardiens du dogme. Si je devais, par exemple, répondre à la lettre surréaliste qu'il a adressée récemment à la société civile marocaine, je me contenterais de poser les questions suivantes : Quelle crédibilité peut-on accorder à un mouvement de libération nationale dont les deux tiers de l'état-major sont passés à l'ennemi ? Quelle marge de liberté de pensée et de manœuvre politique un tel mouvement peut-il avoir quand il a lié son sort à un pouvoir militaire qui a fait avorter par la terreur et dans le sang le projet de libération du peuple algérien et ses aspirations, en tout similaires aux nôtres, à un État de droit ?

Ainsi, une nouvelle voie, autre que l'alternative de l'indépendance ou du ralliement, pourra s'offrir aux Sahraouis. Évitant les déchirements, les surenchères du nationalisme passéiste et les risques de dérive violente, elle permettra la sortie de la crise par un engagement commun à faire avancer le projet démocratique et l'établir sur des bases saines et durables. Et si j'ai un message fraternel à adresser aux Sahraouis, où qu'ils se trouvent, il se situe bien là. Chacun d'eux, par son choix libre, prendra sa part de responsabilité dans la réalisation ou l'avortement de ce projet. Sa décision sera capitale pour l'avenir de notre région car, si nous élargissons notre analyse à l'échelle du Maghreb, est-il possible de nier que le seul espace où une vraie perspective démocratique est en train de se dessiner est, pour le moment, le Maroc ? Si le choix de chacun de nous est bien celui de la liberté et de la démocratie, notre intérêt à tous est de sauvegarder cet espace, le renforcer et le faire avancer jusqu'à la réalisation pleine et entière de nos aspirations. C'est alors que le conflit du Sahara aura une issue heureuse. Réglé dans cet esprit, il élargira, dans notre région, l'espace de la paix et de la construction démocratique.

Ayant commencé par un cri d'alarme, c'est par cette note d'optimisme que je voudrais terminer. Si le Maroc est aujourd'hui malade du Sahara, c'est peut-être par ce dernier qu'il entreprendra la voie de sa guérison. La médication demandera du temps pour donner les résultats espérés, mais il ne faut pas tarder à l'administrer. Encore faut-il écarter de la chambre du patient les apprentis sorciers et autres charlatans, en ouvrir les fenêtres pour laisser passer l'air vivifiant de la raison et de l'espoir. Ce changement de cap exige un sens élevé de l'État et une vision capable d'anticiper l'avenir. C'est avec de tels atouts que sont le mieux fructifiés les rendez-vous qu'un peuple prend avec l'Histoire.

Abdellatif Laâbi
Juin 2005


TRIBUNA: ABDELLATIF LAÂBI

Marruecos, enfermo del Sáhara
Abdellatif Laâbi es escritor marroquí, autor, entre otros libros, de Fez es un espejo: el fondo de la tinaja y de El camino de las ordalías. Traducción de News Clips.

EL PAÍS - Opinión - 04-07-2005

Sí, es un grito de alarma el que me gustaría lanzar aquí. Marruecos se ve arrastrado actualmente, debido a la cuestión del Sáhara, por una corriente cuyo trastornador efecto para nuestros logros de los últimos cinco años no se mide suficientemente. Sin caer en la tesis fácil de la conspiración, se imponen algunas preguntas de sentido común: ¿a quién le interesa una desestabilización cuya amenaza se perfila en el horizonte?; ¿a quién beneficiará el caos que podría derivarse de ella? Las respuestas que vienen automáticamente a la mente, dictadas por un reflejo pavloviano, señalarán a los enemigos exteriores, dado que el frente interior es, por definición, sólido como el hormigón y sus actores están por encima de cualquier sospecha. Pero habría que ser ingenuo para no ver que son los nostálgicos del antiguo régimen quienes se frotan ya las manos. La bola que el régimen anterior encadenó al pie de su sucesor resulta ser una bomba de efecto retardado que fragiliza el actual impulso reformador y altera el mensaje.

Por lo tanto, la situación es propicia para una vuelta atrás, teniendo como detonantes, por un lado, las tensiones sociales y políticas internas que conocemos de sobras y, por otro, el estancamiento en el que nos encontramos en relación con la cuestión del Sáhara. Que esta vuelta se haga en el engranaje de la violencia y, por qué no, aprovechando un conflicto armado con Argelia, no desagradará a estos aprendices de brujo. ¿Acaso no participaron en el pasado en la política de la "tierra quemada" y utilizaron los mismos métodos que el régimen militar vecino para martirizar a nuestro pueblo y confiscar el proyecto democrático nacido con la independencia del país? Son, sin duda, los cómplices objetivos de una hipótesis catastrófica que debemos contemplar con lucidez. Y no son, por desgracia, los adalides de nuestra clase política, anquilosados en sus esquemas inamovibles, los que van a ayudarnos a evitar lo peor. La miseria de su retórica es tal que mantiene la esclerosis e impide la reflexión de fondo sobre un problema complejo cuyo tratamiento exige, además de valor y determinación, un verdadero avance del pensamiento político, cargado con una visión de futuro.

¿Podemos contemplar dicho avance y aceptar que las ideas, incluso las más perturbadoras, se enfrenten libremente? No hay nada menos seguro. Y ésta es la verdadera paradoja de nuestra vida política. Porque, si hay un logro de estos últimos años, seguramente es aquel que se ha concretado en Marruecos con la expresión libre del pensamiento. Muchos tabúes, cuya trasgresión en el pasado se hacía acreedora de las peores extorsiones, han estallado en pedazos. Haya "líneas rojas" o no, el resultado está ahí y no es poca cosa. Abarca todos los ámbitos y atañe a todos los temas sensibles. El único asunto en el que la fosilización del pensamiento sigue siendo la norma es el Sáhara. La visión de una salida del atolladero que sea honrosa, justa y provechosa para el progreso de nuestro proyecto democrático y la realización de nuestras aspiraciones al desarrollo, pero que también tenga en cuenta la dignidad de las poblaciones saharauis, sus necesidades económicas y sociales y su especificidad cultural, se echa cruelmente en falta. ¿Hemos realizado alguna innovación en algún campo desde la época del visir Basri, cuando el tratamiento de esta cuestión privilegió el aspecto de la seguridad y la creación de élites locales supuestamente afines a nuestros intereses, en realidad integradas mediante cooptación en un sistema basado en la corrupción y el tráfico de influencias? Acabamos de descubrir que en el Sáhara no hay únicamente tribus y jefes de tribu, sino que también hay una opinión pública y unos ciudadanos corrientes, la mayoría de los cuales son dejados de lado por este sistema, y que tienen algo que decir en relación con sus condiciones de vida, la gestión de sus asuntos y la construcción de su futuro. También es cierto que, recientemente, tras los atentados de Casablanca, se empieza a descubrir el Marruecos inútil, abandonado a su miseria y su desamparo, presa fácil de los mercaderes de la desesperación y del odio. Pero es obligado señalar que esta toma de conciencia es todavía embrionaria y sólo es defendida por una pequeña parte de la prensa independiente y algunas corrientes de la nueva izquierda. Por parte del Estado y de la mayoría de la clase política, la inercia es la única energía que pueda constatarse y el premio a la impotencia debe ser otorgado a nuestra diplomacia, que siempre ha tenido como única política la reacción. Parece ignorar eso que se llama iniciativa y, cuando reacciona ante unos hechos consumados, lo hace con una indigencia que se ha vuelto ciertamente proverbial en las cancillerías de todo el mundo. Digamos en su descargo que sus ademanes son sólo la expresión de una carencia a nivel del Estado, prisionero a su vez de un consenso elevado al rango de dogma y de un statu quo que trata de gestionar a duras penas.

¿Cómo pensar y debatir libremente en esta atmósfera malsana en la que el terrorismo intelectual está en su apogeo? Si realmente hay una "línea roja", está aquí. Por un lado, tenemos a los valerosos patriotas que velan para que no se cambie ni siquiera una coma de las tesis y fórmulas consagradas desde que se inició el problema. Por otro, sólo pueden existir traidores o nihilistas ganados a la causa de los enemigos de la unidad territorial. Creo que ya es hora, para nosotros los marroquíes, de aprender otro idioma que no sea el que hablan los loros cuando se trata de patriotismo y acabar con el monopolio patentado de algunos en la materia.

¿Qué clase de patriotismo es éste que practica la política del avestruz e impulsa ciegamente a un país y a un pueblo directamente contra un muro, e incluso hacia un precipicio? Por el contrario, ¿no es el verdadero patriotismo el que tiene como preocupación constante evitar a nuestro pueblo las desgracias y los sufrimientos que un conflicto violento podían infligirle? ¿Acaso Marruecos no ha quedado suficientemente arruinado durante décadas de arbitrariedad, de desorden, de corrupción y de olvido de regiones enteras del país profundo, para que se le exponga, cuando apenas levanta cabeza, a nuevos peligros? ¿No es el verdadero patriotismo, en Marruecos y en el mundo actual, aquel que lucha por arraigar entre los ciudadanos la cultura de la paz, de la tolerancia y de los valores democráticos? ¿Quién moviliza las energías para sacar al país del callejón sin salida del subdesarrollo, de la esfera de la dependencia, y para instaurar la justicia social y garantizar a todos el derecho al bienestar material y moral, fundamento de toda dignidad? Por último, ¿acaso el verdadero patriotismo no es aquel que se esfuerza en construir las herramientas del pensamiento libre y de laresponsabilidad del ciudadano? Cuando sabemos que tenemos otro peligro en casa, el extremismo que corre el riesgo de arrastrarnos a otras locuras sangrientas, hay motivos para reflexionar. ¿Somos incapaces de tener un arranque de lucidez que nos haga volver a poner sobre la mesa todos los elementos de la cuestión del Sáhara, desde su génesis hasta los desarrollos tragicómicos de estas últimas semanas? ¿Estamos definitivamente vacunados contra el análisis y el debate razonados, y carentes hasta este punto del arrebato de genio que da alas a la imaginación creadora y permite liberar el curso de la Historia?

En realidad, la pregunta crucial, ineludible, que condiciona la resolución de la ecuación del Sáhara es, en mi opinión, la siguiente: ¿qué Marruecos queremos, aquel al cual nos hemos acostumbrado por las buenas o por las malas, cuyo impulso se ve frenado por tantos arcaísmos y, en primer lugar, por la confusión de los poderes y su centralización a ultranza, o aquel que dará nacimiento a un nuevo proyecto de sociedad, en el que serán establecidas las reglas admitidas universalmente de un gobierno democrático, inaugurando así la era de una ciudadanía plena y completa?

La elección entre ambas opciones es la clave del problema. Es inútil volver al balance desastroso de la primera, la única que ha actuado hasta la fecha sobre el terreno. Nos ha conducido a un callejón sin salida y empieza a estar cargada de peligros. Por su parte, la segunda, a pesar de estar dando sus primeros balbuceos, tiene al menos el mérito de sacudir el inmovilismo y abrir otras vías de reflexión y de debate. No pretendo ofrecer una primicia en la materia. Las ideas que van en esta dirección han sido expresadas recientemente, aquí y allá, sobre todo en la prensa, primero con timidez, luego más claramente, aunque en ocasiones siguen estando envueltas de fórmulas consagradas, última concesión a los guardianes del dogma. Así pues, si nuestra opción es realmente favorable a un Estado moderno, un gobierno basado en los principios democráticos y una política social movilizada contra las desigualdades, la solución para el Sáhara se derivará de esta decisión y de la aplicación de sus principios directivos. Para ello, hay que acabar con el dogma que considera que en nuestro país el Estado sólo puede ser aquello que siempre ha sido. ¿Acaso la modernidad tantas veces proclamada hoy en día no es exactamente lo contrario del arcaísmo? ¿Debo precisar que esta revolución en las mentalidades puede lograrse sin por ello tener que dejar en la cuneta algunas de nuestras tradiciones, en primer lugar, para ser claro, la institución monárquica? Una vez solucionado este punto, nada se opone a que tomemos ejemplo de los Estados modernos que han optado por otro modelo diferente al Estado jacobino. Esto va desde una unión de Estados hasta la institución en el marco del Estado central de autonomías regionales plenas y completas, pasando, por supuesto, por el federalismo. ¿No vemos que cada uno de estos modelos, dictado por sendas realidades particulares, funciona con normalidad profundizando la idea y la práctica de la democracia, cuyo ejemplo más cercano a nosotros, y el más reciente en su concretización, es el de España, un ejemplo sobre el que debemos reflexionar y beneficiarnos de su experiencia?

Sé que algunos no dejarán de oponer a este punto de mi razonamiento el argumento contundente de la Historia. A esto responderé que no podemos abstraernos, pero ¿tenemos que ser rehenes suyos? Añadiré que, afortunadamente, la historia de un pueblo no está sólo detrás suyo, sino delante. Al igual que todas las obras humanas, está llamada a ser deconstruida y reconstruida. No es ninguna fatalidad. Un pueblo que no tiene la ambición de ser el dueño de su historia y cambiar el curso de su destino se condena a no ser más que un figurante en una obra cuyos hilos moverán aquellos que son más poderosos que él. ¿Debo recordar, por último, que la Historia avanza mediante acumulaciones sucesivas y también mediante rupturas saludables?

Es esta ruptura sin violencia, razonada, la que reclamo. Podría traducirse, para la cuestión que nos concierne y, más allá, para la nación marroquí, en una iniciativa audaz, firme y transparente, abierta al debate más amplio posible, coronada al final por un referéndum popular. La idea, lo habrán adivinado, es una importante reforma constitucional dirigida a instaurar en Marruecos un Estado de un tipo nuevo, definitivamente anclado en la modernidad y en el que determinadas regiones, en función de la libre elección de sus habitantes, accederán a la autonomía y podrán autogobernarse en el sentido pleno de la palabra, mientras que el Estado conservará las prerrogativas admitidas en casos similares, según un modelo que deberá ser ajustado en función de la especificidad de nuestras instituciones. Es evidente que, en el marco de este proyecto, deberá cuidarse especialmente el componente saharaui, implicando realmente a las poblaciones en el debate, por no hablar de las medidas a tomar, como muestra de sinceridad y de simple justicia, para poner fin a la política de "todo por la seguridad" y para enfrentarse a las urgencias socioeconómicas y culturales. De este modo, los saharauis podrán asegurarse de la veracidad del proyecto que les es propuesto y descubrir no sólo que responde de forma válida a sus intereses y aspiraciones, sino que serán unos partícipes y actores de pleno derecho.

Ésta es una perspectiva mucho más cargada de paz, de esperanza, de desarrollo humano y material y de solidaridad fraterna que la que les promete Mohammed Abdelaziz, que, dicho sea de paso, sigue siendo prisionero de un arsenal dogmático que nada tiene que envidiar al de nuestros guardianes del dogma. Por ejemplo, si tuviera que responder a la carta surrealista que dirigió recientemente a la sociedad civil marroquí, me limitaría a plantearle las preguntas siguientes: ¿qué credibilidad puede darse a un movimiento de liberación nacional del que dos tercios de su estado mayor se han pasado al enemigo?; ¿qué margen de libertad de pensamiento y de maniobra política puede tener dicho movimiento cuando ha vinculado su destino a un poder militar que ha hecho abortar mediante el terror y la sangre el proyecto de liberación del pueblo argelino y sus aspiraciones a un Estado de derecho, similares en todo a las nuestras?

De este modo, una nueva vía, diferente a la alternativa de la independencia o la anexión, podrá ser ofrecida a los saharauis. Evitando los desgarros, la demagogia del nacionalismo y los riesgos de la tendencia violenta, permitirá salir de la crisis mediante un compromiso común para hacer avanzar el proyecto democrático y establecerlo sobre unas bases sanas y duraderas. Y si tengo un mensaje fraternal que dirigir a los saharauis, estén donde estén, se refiere a esto. Cada uno de ellos, mediante su libre elección, tendrá su parte de responsabilidad en la realización o el fracaso de este proyecto. Su decisión será capital para el futuro de nuestra región, ya que si extendemos nuestro análisis al ámbito del Magreb, ¿se puede negar que el único espacio donde está dibujándose una perspectiva democrática real es, por el momento, Marruecos? Si la opción elegida por cada uno de nosotros es realmente la libertad y la democracia, el interés de todos nosotros es salvaguardar este espacio, reforzarlo y hacerlo avanzar hasta la realización plena y completa de nuestras aspiraciones. Desarrollado dentro de este espíritu, ampliará, en nuestra región, el espacio de la paz y de la construcción democrática.

Tras haber empezado con un grito de alarma, me gustaría acabar con una nota de optimismo. Si Marruecos está hoy enfermo del Sáhara, tal vez emprenda a través de este último su curación. La medicación tardará tiempo en dar los resultados esperados, pero no hay que demorar mucho su administración. Para ello hay que alejar de la habitación del paciente a los aprendices de brujo y demás charlatanes y abrir las ventanas para dejar pasar el aire vivificante de la razón y la esperanza. Este cambio de rumbo exige un sentido del Estado y una visión capaz de anticipar el futuro. Con estas bazas es como las citas que un pueblo tiene con la Historia dan sus mejores frutos.


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