Congress of the United States
House of Representatives
Committee on Appropriations
Washington, DC 20515-6015

Examen des operations et des mesures de maintien de la paix des Nations unies
25 janvier 1995, 14 h.
Subcommittee on the Departments of Commerce, Justice, and State, the Judiciary, and Related Agencies

Liste des témoins

Dick Thornburgh, Kirkpatrick & Lockhart, ancien sous-secretaire general pour líadministration et l'organisation des Nations unies.
Ambassadrice Jeane J. Kirkpatrick, ancien professeur, American Enterprise Institute, ancienne representante des USA aux Nations unies.
John R. Bolton, president, National Policy Forum, ancien secretaire adjoint aux Affaires etrangeres charge des organisations internationales.
Ambassadeur Frank Ruddy, ancien vice-president, referendum pour le Sahara occidental, operation de maintien de la paix MINURSO.

Declaration de Frank Ruddy

devant la
Subcommittee on the Departments of Commerce, Justice, and State, the Judiciary, and Related Agencies

Je suis honore d'etre invite aujourd'hui devant une assemblee aussi distinguee. Je parlerai brievement de la Mission des Nations unies pour le Referendum au Sahara occidental, ou j'ai passe la plus grande partie de l'annee ecoulee (1).

D'autres bien mieux informes que moi ont ecrit des livres sur l'histoire et l'evolution politique du Sahara occidental. Je dirai seulement que le Sahara occidental est l'ancien Sahara espagnol. La MINURSO a ete mise en place en septembre 1991) pour surveiller le cessez-le-feu qui a mis fin a la guerre entre le Maroc et le Front Populaire pour la Liberation de Saguia el Hamra et Rio de Oro, mieux connu sous le nom de POLISARIO, apres le retrait de l'Espagne, et 2) pour mener a bien un referendum sur l'avenir de cette region.

Le referendum, prevu a l'origine en 1992, doit decider si le Sahara occidental deviendra un etat independant ou fera partie du Maroc. La derniere date prevue pour le referendum etait fixee au 14 fevrier 1995 et meme Sa Majeste le roi Hassan II du Maroc declarait en novembre dernier qu'il etait certain a 100% que le referendum aurait lieu a ce moment-la. Depuis lors le referendum a ete repousse a novembre 1995. Au moment ou je parle les travaux referendaires pietinent a nouveau au prix de 100í000 $ par jour, selon les estimations de la MINURSO elle-meme.

COMMENT METTRE EN ROUTE LE REFERENDUM:

L'enregistrement des candidats electeurs potentiels est le premier pas de tout referendum: il faut donc faire venir les gens dans les bureaux de l'ONU afin d'etablir leur eligibilite a voter.

COMMENT NE PAS METTRE EN ROUTE LE REFERENDUM:

En 1993 la MINURSO a decide de ne pas enregistrer elle-meme les candidatures mais de deleguer cette operation cruciale aux parties: les Marocains ont enregistre leur population dans leurs propres centres au Sahara occidental et le POLISARIO a fait de meme dans le sud algerien. La MINURSO s'est contentee d'accepter les donnees que les parties ont choisies de fournir. Ce fut une decision peu judicieuse.

QU'EST-CE QUI A MAL TOURNE ?:

Nos membres arabophones de la Commission d'identification m'ont rapporte que des Sahraouis qui se presentaient pour ce qui s'appelle l'identification se sont plaints a eux (en hassaniya, le dialecte arabe local) que des membres de leurs familles et des amis avaient rempli des formulaires de candidature dans les centres marocains mais qu'ils ne figuraient pas sur les listes des personnes a identifier et etaient donc exclus du vote. D'autres se plaignaient que des proches et des amis figuraient sur la liste pour etre identifies mais les Marocains leur refusaient l'acces au moyen de transport.
(Un mot d'explication. Seuls les indigenes choisis par les Marocains sont autorises a entrer dans le centre d'identification de la MINURSO ou dans un quelconque bureau de l'ONU. La police renvoie tous les autres. Des personnes qui viennent pour etre identifiees a une date precise ne peuvent pas simplement entrer. Elles sont rassemblees par les Marocains a un endroit central et amenees par vehicule au centre d'identification de la MINURSO).
De cette façon les Marocains controlent ceux qui seront identifies. Ce n'est certainement pas la façon prevue et ce n'est pas le genre de processus que les Nations unies sont supposees mettre en place. Toutes ces informations ont ete transmises par voie officielle a la MINURSO. Ces faits n'ont jamais ete aborde avec les Marocains, a ma connaissance, et le quartier general de l'ONU a New York ne fut certainement jamais informe.

C'est pour la meme raison que notre projet de faire remplir les formulaires de candidature des Sahraouis dans nos centres a echoue. Personne n'etait autorise a nous approcher sans l'accord du gouvernement marocain.

Une autre observation: quelques Sahraouis qui ont denonce ces pratiques marocaines ont demande a ce que le personnel de l'ONU les surveille apres qu'ils aient quitte le bureau, au cas ou ils venaient a disparaitre. Plusieurs ont declare craindre pour leur vie si les Marocains les voyaient parler a des membres de l'ONU. D'autres ont demande qu'on evite de les reconnaitre en dehors du centre onusien. Le terme "terroriseî" semble trop fort, mais ils etaient effrayes. Leurs declarations me faisaient penser a l'Afrique du Sud au debut des annees 70 quand des noirs vous parlaient librement dans la securite de l'ambassade americaine et pretendaient ne plus vous connaitre des qu'ils avaient quitte les lieux.

J'aimerais preciser que quand j'utilise le mot "Marocains" je me refere au personnel du Ministere de l'Interieur qui tirait les ficelles au Sahara occidental. C'est difficile a croire et personnellement je ne le crois pas, qu'un homme d'etat comme le roi Hassan II, ait connaissance, voire meme autorise, un comportement de type mafieux de la part de ses representants.

COMMENT DEVRAIT SE DEROULER L'IDENTIFICATION:

Apres l'enregistrement, il faut examiner si le candidat est habilite a voter. Pour ce faire une partie de la MINURSO appelee Commission d'identification enquete et statue comme un tribunal. C'est ce processus qui est continuellement et actuellement freine dans la MINURSO.

Il y a 233'000 candidats a voter, et tous doivent comparaitre devant la Commission d'identification en un certain lieu pour etre identifies. Si vous ajoutez 10%, une estimation raisonnable au dire de tout le monde pour tenir compte d'autres votants potentiels vivant dans des endroits eloignes d'Algerie, de Mauritanie ou aux Canaries, en Espagne ou en France, le nombre total depasse 250'000. Il faut 7 minutes dans les cas les plus simples pour identifier quelqu'un, et, comme on l'a vu en decembre 1994, les centres d'identification de la MINURSO peuvent identifier en moyenne environ 400 personnes par jour. Ce n'est qu'une petite partie des 250'000. Le processus, bien qu'aucune faute ne puisse etre imputee au personnel de la Commission d'identification qui travaille tres dur, se deroule a une vitesse d'escargot. Meme avec le scenario le plus optimiste, dont les problemes ne seraient que techniques et logistiques, et meme si les equipes d'identification sont multipliees par dix, le poids du nombre rend virtuellement impossible de terminer le processus pour novembre 1995.
Ajoutez a cela un effort conscient d'obstruction, comme c'est le cas en ce moment meme et la date de novembre 1995 devient utopique.

LES TACTIQUES D'OBSTRUCTION:

Des experts de la politique marocaine m'ont dit que ce pays ne veut pas du referendum parce que les risques sont plus importants que les gains possibles et que le statu quo n'est pas si mauvais; d'autre part que le Maroc ne peut pas se permettre le role du mechant et qu'il trouvera les moyens de ralentir le processus jusqu'a ce que tout le monde soit degoute. N'etant moi-meme pas expert je leur laisse la responsabilite de leur analyse. J'aimerais seulement mentionner qu'en decembre de l'annee passee le Maroc a interrompu le processus d'identification pendant plus d'une semaine, au cout encore une fois de 100'000 $ la journee, a cause de l'utilisation d'un adverbe dans un formulaire propose par la MINURSO. Il en resulta un echange de lettres formelles et une bonne dose de gamineries. Si le Maroc avait interet a clarifier le probleme, il me semble qu'on aurait pu regler l'affaire en deux minutes avec un coup de telephone ou une rencontre avec le responsable francophone, un ancien ambassadeur togolais, qui avait redige le projet.

Durant ce meme mois l'officier de liaison marocain avec la MINURSO se vantait publiquement dans un bar, devant des membres de la MINURSO, qu'il pouvait a lui tout seul decider si l'identification continuait le lendemain (comme c'etait prevu), et pour le prouver il prit le telephone (il etait alors environ minuit), et, devant tout le monde, annula les seances de la commission prevues pour la semaine suivante.
Ce ne sont pas la des interventions de personnes desirant serieusement l'avancement du referendum ou soucieuses d'economiser l'argent des Nations unies. Ces actions demagogiques auraient du etre rapportees a l'ONU a New York, mais elles ne l'ont jamais ete.
Le processus d'identification devait commencer le 16 juin 1994, mais son debut a ete reporte de deux mois et demi, ce qui a coute des millions de dollars, pendant que l'ONU, le POLISARIO et le Maroc negociaient sur la question de savoir comment appeler les observateurs de l'OUA qui devaient venir surveiller l'identification. Les Marocains ont quitte l'OUA il y a des annees quand elle reconnut la Republique Arabe Sahraouie Democratique fondee par le POLISARIO et maintenant le Maroc declarait qu'il ne voulait pas de representants de l'OUA au Sahara occidental. Le POLISARIO insistait en disant que les representants de l'OUA etaient parties prenantes au processus referendaire et devaient etre presents. A la fin un compromis quant a leur denomination fut obtenu et on leur permit d'entrer. L'ironie c'est que tout ceci aurait pu etre discute en 1993, qu'il n'y avait aucune raison de ressortir l'affaire en 1994 comme chacun le sait, sinon celle de ralentir pour ralentir.

FRAUDE

La Commission d'identification delivre a chaque personne un recepisse et quand les conclusions seront publiees, les personnes habilitees a voter echangent ce reçu contre une carte d'electeur. Il est arrive a Laayoune que des Sahraouis, ramenes des centres d'identification par les vehicules dont je parlais, ont ete forces de remettre leurs recepisses aux Marocains avant de quitter les camions. Ceci permet tout a fait a de faux electeurs d'echanger un recepisse contre une carte d'electeur. C'est un probleme tres serieux, en effet, et il fut communique a la MINURSO par voie officielle. L'ONU a New York ne fut jamais informee.

Le processus d'identification a vraiment commence le 28 aout 1994, simultanement au Sahara occidental et au sud de líAlgerie. On peut dire avec certitude que, a partir de cette date, la MINURSO a cesse d'etre une operation menee par l'ONU et quíelle est devenue l'instrument de la domination marocaine sur le processus d'identification.

Il faut une autorisation gouvernementale pour acheter un espace dans les medias marocains et le Maroc a toujours empeche la MINURSO díacheter un espace dans les journaux ou a la radio pour appeler les gens a s'enregistrer et a participer au processus d'identification. Ce sont des bagatelles compare a ce qui allait arriver apres le 28 aout. Harold MacMillan un jour a raconte comment les Borgia s'etaient empares d'une ville du nord de l'Italie. En voyant les Marocains a l'oeuvre je pensais a cette description.

QUELQUES EXEMPLES:

Le 27 aout, veille du debut du processus a Laayoune, l'officier de liaison marocain avec la MINURSO s'adressa au chef de la Mission dans un restaurant devant des Marocains et le staff de la MINURSO et lui ordonna de retirer tous les drapeaux onusiens du batiment de líONU ou l'identification devait se derouler, sinon il stopperait l'identification. Malheureusement le chef de la Mission accepta et meme le drapeau de l'ONU fut enleve dans la piece ou la ceremonie d'ouverture devait se tenir. Cet evenement honteux etait probablement trop embarrassant pour etre rapporte au quartier general de l'ONU a New York. De toutes façons ce ne fut jamais le cas.
Pendant la premiere session d'identification a Laayoune des "journalistes" marocains photographiaient et filmaient en video chaque minute de chaque jour et prenaient en photo chaque Sahraoui qui venait pour etre identifie. Ces "journalistes" etaient des membres de la Securite d'etat marocaine, comme l'ont remarque les membres de notre service de presse et le chef de notre police civile (CIVPOL). Preuve en est qu'aucune seconde de ces heures de prises de vue n'apparut jamais a la television marocaine. Cette couverture mediatique abusive flagrante n'a jamais ete signalee a l'ONU a New York.
Quelques semaines plus tard des ecoutes telephoniques furent decouvertes sur les lignes locales et sur toutes les lignes internationales du quartier general de la MINURSO. Les ecoutes aboutissaient a une ligne marocaine locale. Ces faits ont ete etouffes. Il n'y eut aucune enquete, mais le principal suspect fut immediatement transfere. Auparavant deja le courrier avait ete regulierement ouvert et les bureaux du personnel de la MINURSO regulierement visites, mais ceci etait nouveau. Big Brother, en plus de nous surveiller, maintenant nous ecoutait et l'ONU a New York n'a jamais ete informee.

Durant les semaine suivantes les Marocains nous dicterent meme notre travail et nos horaires de vol. Quand les observateurs marocains decidaient de se rendre au Sahara occidental, nous pouvions travailler. Ils insistaient aussi pour que les avions de l'ONU volent a vide et a grand frais, de leur base de Laayoune a travers le desert jusqu'aux camps du POLISARIO a Tindouf, afin de prouver qu'ils controlaient le processus. Ce gaspillage inexcusable d'heures de vol et de carburant n'a jamais ete rapporte a New York. Une fois que les critiques de cette façon de faire devinrent publiques, c'est assez interessant et exemplaire de la façon de travailler de l'ONU, la MINURSO poursuivit les vols en transportant quelques observateurs militaires, afin que personne ne puisse dire que les avions etaient vides.

A une autre occasion le Maroc annonça qu'un membre du staff de la MINURSO ne pouvait plus retourner au Sahara occidental en raison des propos incendiaires et provocateurs qu'il avait tenus lors de son travail d'identification en Algerie. Heureusement un enregistrement video et audio de ces paroles existait, prouvant qu'elles etaient parfaitement innocentes. La note marocaine protestant contre ces propos, qui n'etaient ni prepares ni disponibles a l'avance, fut remise au representant de la MINURSO avant meme qu'ils n'aient ete prononces. C'etait un cas clair d'intimidation, mais, sur pression marocaine, le chef de la Mission releva la personne concernee de ses fonctions. L'incident n'a pas ete rapporte a l'ONU a New York. Un mois plus tard j'ai decide que je devais le faire. Une fois l'action marocaine rendue publique la personne sanctionnee a ete autorisee a retourner au Sahara occidental.

A Laayoune les Marocains continuent de traiter les installations de l'ONU comme les leurs propres, organisant des inspections par des pompiers chaque fois qu'ils le veulent et laissant les installations ouvertes pour permettre des arrivees tardives. Ce n'est pas une question d'ouvrir ou fermer, mais une question d'horaire (quand ouvrir, quand fermer).
Un jour le responsable marocain de liaison avec la MINURSO arrivant au centre d'identification fut fache de devoir attendre quelques instants qu'on ouvrit la porte pour le faire entrer, comme il dit, "chez moiî" (2). Et c'est ainsi qu'en raison de la faiblesse de la MINURSO, les Marocains ont ete autorises a croire qu'ils etaient chez eux dans les locaux de l'ONU a Laayoune.
L'ambassadrice Albright a eu l'amabilite de m'inviter a New York pour lui communiquer mon rapport sur la MINURSO et je l'ai fait. J'ai aussi ete appele a faire part de mes observations concernant toutes les irregularites d'approvisionnement de la MINURSO a un membre de son equipe et je le ferai. Je n'ai pas du tout ete surpris d'entendre l'ambassadrice Albright dire que les problemes de la MINURSO ne sont pas d'ordre politique mais organisationnel et contrecarrent les lignes des partis. Dans ces temps difficiles il ne suffit pas que l'ONU essaie de faire de son mieux. Il n'y a pas assez d'argent pour cela. L'ONU doit, ainsi que l'a dit l'ambassadrice dans un article du Baltimore Sun l'ete dernier, "montrer des resultats".
J'ai lu la transcription des reunions privees du Secretaire general quand il etait en Algerie et au Sahara occidental en novembre dernier et j'ai eu l'honneur de l'accompagner dans sa tournee de la MINURSO. Il a ete discret. Il etait tres conscient du souci budgetaire manifeste par ce Congres (ce qu'il appelait "une nouvelle attitude negative chez les Americains") (3) et il a parle d'amours difficiles. C'est trop exiger de la part de l'ONU que de perdre son temps avec des adversaires qui n'ont pas la volonte de resoudre leurs differends. Ironie du sort, au moment ou il parlait, la situation au Sahara occidental s'etait une fois de plus degradee et n'a fait qu'empirer apres son depart.
Bien des membres de la MINURSO que je respecte, des gens du Moyen Orient et du Maghreb ainsi que des connaisseurs du monde arabe, me disent que l'emprise marocaine sur la MINURSO est bien trop forte pour en etre eliminee. La MINURSO, disent-ils, a perdu toute credibilite. Je ne pense pas que ce soit le cas. Il est vrai que tous deux, aussi bien les Marocains au Sahara occidental que la MINURSO, ne sont plus sous controle (out-of-control) en ce moment. Je pense que si en haut lieu on montre a Rabat et au palais ce qui ete manigance par des voyous en leur nom, on obtiendra les changements necessaires. Actuellement, pour citer Voltaire, c'est pire qu'un crime, c'est une faute et Sa Majeste le roi Hassan II ne fait pas beaucoup de fautes. Les Nations unies ne peuvent compter sur leur bureaucratie inefficace pour remedier aux problemes díorganisation de la MINURSO, mais cette meme "nouvelle attitude negative chez les Americains" (4) , dont Boutros-Ghali a parle, peut faire des miracles en obligeant les Nations unies a porter un regard severe sur la MINURSO et son organisation, qui ne rend des comptes a personne et opere avec une mentalite de colon. Une bonne equipe de gestionnaires pourrait nettoyer la place et retablir la credibilite de la MINURSO aux yeux du Conseil de Securite et de la communaute internationale.
Merci beaucoup.

© traduction ARSO, CH-2800 Delemont

notes:
1)M.F.Ruddy a fonctionne comme vice-prsident de la Commission d'identification de la MINURSO (n.d.t)
2)/3)/4) en francais dans le texte, (n.d.t.)



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