RAPPORT

de la

MISSION D'OBSERVATION à EL AIOUN
(SAHARA OCCIDENTAL)

29-30 novembre 2005 / 11 au 15 décembre 2005

 

Participants : Karim Arfaoui (Barreau de Tunisie ), José Manuel de la Fuente Serrano (Barreau de Badajoz &endash; Espagne), Olivier Guilbaud (Barreau de Paris - France), Doris Leuenberger et Dina Bazarbachi (Barreau de Genève - Suisse), Carmine Malinconico (Barreau de Naples - Italie), Cristine Navarro Poblet (Barreau de Barcelone - Espagne), Inès Miranda, Raul Perera et Julian Santana (Barreau de Las Palmas &endash; Espagne), Daniel Voguet (Barreau de Paris - France)

Rédigé, entre le 20 décembre 2005 et le 2 janvier 2006 par Olivier Guilbaud

MISSION D'OBSERVATION à EL AIOUN
(SAHARA OCCIDENTAL)

29-30 novembre 2005 / 11 au 15 décembre 2005

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Plan du rapport :

1- Objet de la mission.
2- Nature des poursuites.
3- Contexte.
4- Déroulement des audiences (30/11, 06/12, 13/12).
5- Peines prononcées.
6- Conclusions.
7- Signataires.
8- Annexes.

 

1- Objet de la mission :

Assister, en qualité de juristes observateurs, au procès de quatorze prisonniers politiques sahraouis (dont une femme) accusés de plusieurs infractions à caractère criminel devant la Chambre Criminelle de première Instance du Tribunal d'El Aioun (Sahara Occidental), composées de trois juges marocains et d'un Procureur du Roi (dossiers n°180/05 à 186/05).

Tous les accusés étaient en détention provisoire depuis leur arrestation (5 à 6 mois).

Etaient accusés :

Dossier n° 180/05 :

M. Genhaoui El KHALIFA.

M. Mohamed HWIDI.

M. Mohamed ETTAHILIL.

Dossier n° 181/05 :

M. Eloili AMIDANE.

Dossier n° 182/05 :

M. Tamek ALI SALEM.

Dossier n° 183/05 :

M. El Moussaoui SIDI AHMED.

Dossier n° 184/05 :

M. Sidi Mohamed BELLA.

M. El Mahjoub CHTIOUI.

M. H'mad HAMMAD.

Dossier n° 185/05 :

M. El Houssaine LYDRI.

M. Brahim NOUMRIA.

M. El Arbi MASSOUD.

M. Mohamed EL MOUTAWAKEL.

Dossier n° 186/05 :

Mme Amilatou HAÏDAR.

La défense était assurée par un collectif composé de treize avocats venant des Barreaux d'Agadir (El Aioun, appartient à ce Barreau), de Marrakech, de Casablanca et de Guelmime.

2- Nature des poursuites :

L'incrimination commune aux quatorze accusés était :

Certains accusés étaient également poursuivis pour réunion armée sur la voie publique, pour avoir donné des instructions à la désobéissance, pour la participation à une manifestation non autorisée ou encore pour l'adhésion à une organisation non autorisée (apparemment la section du Sahara occidental de l'association dénommée « Forum Vérité et Justice »).

Il est ressorti des débats que les poursuites engagées à l'encontre des accusés sont fondées sur leurs activités en faveur des droits de l'Homme et de la population sahraouie ; tous les prisonniers ont confirmé, tout au long du procès, leurs convictions et leur détermination à défendre le droit du peuple sahraoui à son indépendance.

L'ensemble de ces incriminations semble toutefois résulter de la participation présumée des accusés à des manifestations non autorisées qui se sont déroulées à El Aioun ou de leur appartenance à des associations non autorisées (section saharaouie du « Forum Vérité Justice »).

Il ressort toutefois des éléments versés aux débats, que certains accusés [et notamment MM Ali Salem TAMEK et Mohamed El MOUTAWAKEL] étaient absents d'El Aioun à la date des manifestations incriminées ; M. Ali Salem TAMEK est resté en Europe durant plusieurs mois jusqu'en juillet 2005 et M. Mohamed El MOUTAWAKEL était alors détenu à El Aioun ainsi que cela ressort des procès-verbaux de police.

3- Contexte :

3.1- Contexte général :

Le Sahara Occidental est un territoire de 266.000 km_ situé au sud du Maroc et à l'ouest de la Mauritanie.

Suite au retrait de l'Espagne qui a laissé les troupes marocaines et mauritaniennes se partager ce territoire [accord tripartite de Madrid &endash; 14/11/1975], un conflit armé à opposé le Front Polisario (Frente Popular par la Liberacion de Saguia el-Hamra y de Rio de Oro), aux troupes marocaines, d'une part, et Mauritaniennes, d'autre part, ce qui a abouti, en 1979, au retrait de la Mauritanie.

Dans les années 1980, le Maroc a érigé un mur de défense qui coupe physiquement le territoire en deux, le quart est du territoire étant désormais sous le contrôle du Front Polisario ; environ 150.000 Sahraouis ont quitté la partie du Sahara Occidental sous administration marocaine et vivent dans des camps de réfugiés établis dans le sud-ouest algérien (Tindouf).

Depuis le début des années 1990, un cessez-le-feu est respecté et la Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara Occidental (MINURSO) tente d'organiser le référendum d'autodétermination dont le principe a été accepté par le Maroc.

La MINURSO a supervisé l'élaboration de la liste, clôturée en janvier 2000,des électeurs (86.000 Sahraouis), qui ont été admis à voter lors de ce scrutin.

En raison du désaccord du Maroc sur cette liste, le référendum d'autodétermination n'a pu être organisé à ce jour.

Le Sahara Occidental est recensé parmi les 17 « Territoires Non Autonomes » (TNA), dont la liste est établie par les Nations Unies et son cas est traité par la 4ème Commission de l'Assemblée Générale des Nations Unies, en charge, notamment, des questions de décolonisation.

La Commission du droit international des Nations Unies a reconnu le droit des « TNA » à l'autodétermination.

3.2- Contexte local :

L'ambiance générale était marquée par le décès survenu, à El Aioun, le 29 octobre 2005, du jeune LEMBARKI Hamdi MAHJOUB, des suites de coups qui lui auraient été infligés par plusieurs membre des GUS (Groupes Urbains de Sécurité).

Plusieurs membres de ces Groupes ont été suspendus et une enquête administrative a été ouverte à l'instigation du chef de la sûreté marocaine.

Par ailleurs, des incidents sont survenus, le vendredi 9 décembre, puis à nouveau le lundi 12 décembre, au lycée Mssala d'El Aioun, ayant entraîné l'intervention de l'armée au sein de cet établissement et l'interpellation de 7 élèves (5 le vendredi et 2 le lundi) en raison de leur participation à une manifestation dans l'enceinte du lycée.

Plusieurs signataires du présent rapport (Maîtres Arfaoui, Guilbaud et Voguet) ont rencontré, lundi 12 décembre, la famille de l'un des lycéens interpellés le 9 décembre et encore incarcéré ainsi que l'un de ses camarades, libéré, qui s'est plaint des mauvais traitements subis lors de son interpellation, puis dans les locaux de la police.

La tension était perceptible par une présence massive des forces de sécurité dans la ville (Forces Armées et Gendarmerie Royale, Groupes Urbains de Sécurité et Compagnies Mobiles d'Intervention) et particulièrement aux abords du Palais de Justice, lorsque les audiences de ce procès s'y sont tenues.

De nombreux policiers en civil étaient également présents, tant dans l'enceinte du Tribunal qu'aux abords de celui-ci.

Il faut préciser que sept des quatorze accusés avaient entamé une grève de la faim, le 9 août 2005, dans les prisons Ait Melloul (Agadir), prison noire (El Aioun) et Oukacha (Casablanca) pour protester contre le transfert de cinq d'entre eux depuis la prison noire d'El Aioun vers d'autres centres de détention, semble-t-il sans ordre judiciaire.

4- Déroulement des audiences :

4-1. Mercredi 30 novembre 2005 (renvoi) :

Etaient présent, parmi les signataires du présent rapport, Maîtres Arfaoui, Guilbaud, Leuenberger, Navarro Poblet et Inès Miranda.

L'audience a débuté à 9h00, hors la présence des 14 accusés.

Le collectif de la défense des quatorze accusés a élevé, à trois reprises, une protestation solennelle pour obtenir la comparution de leurs clients (à 9 heures, 13 heures et à 15 heures 30).

À l'issue de chacune de ces protestations, le Président de la Cour a indiqué que les accusés n'avaient pas été encore extraits de la prison.

À 15 heures 30, le Président de la Cour a ajouté que l'extraction des accusés relevait de la seule responsabilité du Procureur Général avant que la Cour ne se retire après avoir rendu les délibérés des affaires jugées durant la matinée.

Le collectif des Avocats de la défense s'est réuni et a décidé, à l'unanimité, de se retirer du procès en raison du mépris dans lequel ils estimaient tenue la défense, tant par la Cour que par le Parquet Général.

Il nous est apparu, qu'à l'évidence, l'institution judiciaire n'avait fait aucun effort pour permettre l'audiencement en temps utile des sept dossiers dans lesquels comparaissant ces accusés.

À 16 heures 50, la Cour est revenue dans la même composition que précédemment, à l'exception seulement du Procureur, pour annoncer, après une brève tentative de négociation avec la défense, le renvoi du procès au 6 décembre 2005.

Tous les accusés ont ensuite été présentés à la Cour, soit individuellement, soit par groupe de deux, trois ou quatre, pour s'entendre notifier le renvoi de leur procès.

Tous les accusés ont alors affirmé, tour à tour :

- leur innocence des faits reprochés, leur défense des droits de l'Homme en faveur du peuple sahraoui et qu'ils combattent par des moyens pacifiques contre les violations perpétrées contre la population sahraouie dans les villes occupées par le Maroc ;

- le caractère politique du procès en raison de leur engagement en faveur de l'indépendance du Sahara Occidental ;

- la manipulation que constitue le renvoi du procès, destiné à empêcher qu'il se déroule en présence d'observateurs étrangers.

L'audience a été levée à 18 heures et le procès renvoyé au mardi 6 décembre.

4-2. Mardi 6 décembre 2005 (renvoi) :

Lors de cette audience, le collectif de la défense a accepté d'assurer à nouveau la défense des accusés et le procès a été renvoyé à l'audience du mardi 13 décembre 2005 pour plaidoiries.

4-3. Mardi 13 décembre (procès) :

Préalablement à l'audience, le Premier Président de la Cour d'appel d'El Aioun a reçu les Avocats de la défense ainsi que les Avocats observateurs, signataires du présent rapport.

Le premier dossier appelé a été le n° 185/05.

In limine litis, la défense a soulevé un certain nombre d'exceptions de procédure, prise de la violation de dispositions :

A titre de synthèse des déclarations des accusés :

a) Les accusés ont été poursuivis sur le fondement de procès-verbaux de police qui n'ont été ni vus, ni lus, ni signés par les accusés, les « aveux » ayant été oralement obtenus sous la torture.

b) Aucun témoin n'a été appelé à la Barre pour corroborer les accusations contenues dans les procès-verbaux de police.

c) Tous les accusés ont affirmé, devant le Tribunal, avoir été torturés dans les locaux de la police, durant plusieurs jours et ont demandé que des investigations soient ordonnées pour déterminer l'endroit où se trouvent [ou trouvaient] les disparus sahraouis et que soient punis leurs tortionnaires.

Les mêmes exceptions de procédure seront soulevées par la défense, successivement dans chacun des 7 dossiers.

Le Tribunal a joint les incidents au fond.

Les accusés, lors des brèves instructions effectuées à l'audience par le Président du Tribunal, ont contesté avoir participé à des actions violence, ont affirmé leur condamnation de la violence et ont insisté sur le fait qu'ils continueront à lutter par des moyens pacifiques pour l'indépendance du Sahara Occidental et la défense des droits de l'Homme.

Tous les accusés, sans exception, ont récusé les accusations de la police à leur encontre.

Sur le fond, la défense a systématiquement souligné le caractère politique du procès fait aux 14 accusés et rappelé leur engagement, plus ou moins ancien, en faveur de la défense des droits de l'Homme et de l'autodétermination du Sahara Occidental.

Les évènements survenus au Sahara Occidental lors des années dites « de plomb » (1976 &endash; 1991), lors desquelles sont survenues de nombreuses disparitions de partisans de l'indépendance de ce territoire, ont été évoqués également lors des audiences.

Plusieurs signataires du présent rapport ont été les témoins, mardi 13 décembre à 23h15, de l'obstruction faite par les forces de sécurité à l'entrée, dans l'enceinte du Tribunal, d'une militante de la cause saharouie connue d'eux, en violation du principe de la publicité des débats.

Mercredi 14 décembre, à 3h10, l'un des accusés (Mohamed Ettahilil) a été expulsé de la salle d'audience après avoir réfuté la compétence du Tribunal pour le juger.

L'audience, suspendue une seule fois en début d'après-midi du 13 décembre, s'est déroulée sans désemparer du mardi 13 décembre, à 10h00 au mercredi 14 décembre à 3h30.

Le verdict a été rendu le mercredi 14 décembre à 10h30.

5- Peines prononcées :

M. Genhaoui El KHALIFA

2 ans de prison.

M. Mohamed HWIDI

2 ans de prison.

M. Mohamed ETTAHILIL

3 ans de prison.

M. Eloili AMIDANE

6 mois de prison.

M. Tamek ALI SALEM

8 mois de prison.

M. El Moussaoui SIDI AHMED

2 ans de prison.

M. Sidi Mohamed BELLA

2 ans de prison.

M. El Mahjoub CHTIOUI

2 ans de prison.

M. H'mad HAMMAD

2 ans de prison.

M. El Houssaine LYDRI

10 mois de prison.

M. Brahim NOUMRIA

10 mois de prison.

M. El Arbi MASSOUD

10 mois de prison.

M. Mohamed EL MOUTAWAKEL

10 mois de prison.

Mme Amilatou HAÏDAR

7 mois de prison.

La défense a relevé appel de ces décisions.

6- Conclusions :

Aucun obstacle n'a été formellement opposé par les autorités marocaines à la mission d'observation des soussignés et la défense a pu s'exprimer librement et sans restriction.

Le Tribunal a accordé foi aux procès-verbaux de police en privilégiant les déclarations, pourtant non signées, attribuées aux accusés dans lesdits procès-verbaux par rapport aux déclarations, parfaitement contradictoires, faites par eux lors de l'instruction à l'audience.

Au regard des peines prononcées dans de précédents procès par cette juridiction, celles infligées à ces 14 accusés sont indéniablement très faibles, ainsi que l'ont souligné les articles de presse qui ont en rendu compte (voir notamment, en annexe, l'article paru dans le journal : « El Pais » daté du 15 décembre 2005).

On peut raisonnablement affirmer que la présence de plusieurs étrangers, (les 11 observateurs, tous Avocats et 3 journalistes, espagnol, français et suédois), a eu une incidence déterminante, tant sur la liberté avec laquelle la défense a pu s'exprimer que sur les peines clémentes qui ont été infligées aux accusés.

7- Annexes :

 

8- Signataires :

Tunis, Badajoz, Paris, Genève, Naples, Barcelone, Las Palmas,
le 3 janvier 2006

Karim Arfaoui (Tunisie )
Avocat au Barreau de Tunisie
(F.I.D.H. et O.M.C.T.).

José Manuel de la Fuente Serrano (Espagne)
Avocat au Barreau de Badajoz
(Director del Observatorio de Derechos Humanos del Colégio de Abogados de Badajoz - Consejo General de la Abogacia Espanola).

Olivier Guilbaud (France)
Avocat au Barreau de Paris
(Conseil National des Barreaux, Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats et Union des Jeunes Avocats de Paris).

Doris Leuenberger et Dina Bazarbachi (Suisse)
Avocat au Barreau de Genève
(Barreau de Genève et Section genevoise de la Ligue des Droits de l'Homme).

Carmine Malinconico (Italie)
Avocat au Barreau de Naples
(Associazione Nazionale Giuristi Democratici).

Cristine Navarro Poblet (Espagne)
Avocat au Barreau de Barcelone
(Consejo General de la Abogacia Espanola)

Inès Miranda, Raul Perera et Julian Santana (Espagne)
Avocats au Barreau de La Palmas
(Consejo General de la Abogacia Espanola).

Daniel Voguet (France)
Avocat au Barreau de Paris
(Avocat de Mme Aminatou Haidar et de M. Ali Salem Tamek).


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