SAHARA OCCIDENTAL:

POURQUOI LES DROITS DE L'HOMME SONT INDISSOCIABLES DU DROIT INTERNATIONAL

Traduction de l'article du bureau de Margot Kessler, députée au Parlement européen, publié par l'Institut des Droits de l'Homme de l'Université de Potsdam.

[version originale allemande][english translation]

Depuis le début de l'année 2000, le peuple sahraoui est au bord de revivre la tragédie qui l'a précipité en exil en 19751 lorsque le Maroc a envahi illégalement le Sahara Occidental , en déclenchant un conflit militaire de 16 ans et la fuite de dizaine de milliers de réfugiés dans le sud-ouest algérien. Les parallèles avec la situation de 1975 sont les suivants : il est possible de tenir le référendum d'autodétermination, le Maroc sabote néanmoins le travail des Nations Unies et empêche la tenue du référendum, certains pays qui siègent au Conseil de Sécurité appuient le Maroc dans son désir de se soustraire à la légalité internationale- et la guerre se rapproche. L'histoire a commencé à se répéter en janvier 2000 : tandis que la MINURSO2 achevait la pierre angulaire du Plan de Paix de l'ONU de 1991 en publiant les listes des électeurs du référendum d'autodétermination, promis au peuple sahraoui depuis le début des années soixante, le Maroc a alors entravé la prochaine tenue du référendum en logeant immédiatement 130 mille recours en appel, la plus part d'entre eux dénué de tout fondement légal ou pratique. Pire encore, des pays influents et membres du conseil de sécurité, parmi eux la France, et dans une moindre mesure les Etats Unis, ont soutenu les tentative du Maroc de se soustraire aux engagements qu'il a pourtant contracté quand il a accepté le Plan de Paix de l'ONU de 1991 et les accords de Houston de 1997.

Il y a un lien direct entre le refus persistent du Maroc de respecter la légalité internationale au sujet de son occupation illégale du Sahara Occidental, et les graves violations des droits de l'homme que le régime commet quotidiennement contre la population sahraouie : les forces de sécurité qui en 1975 ont totalement violé le droit humanitaire international tel qu'il est représenté dans la Convention de Genève en bombardant au napalm les sahraouis, en les massacrant, et en détruisant leur possibilité de survie dans le désert en empoisonnant les points d'eau et tuant leur troupeau de chameau, sont les mêmes forces armées qui oppriment toujours dans l'impunité la plus totale, et sous supervision et cessez-le-feu de l'ONU, les sahraouis qui ont été suffisamment malchanceux pour se retrouver bloqués à l'ouest du mur militaire marocain qui tranche leur pays de part en part. Aujourd'hui encore, vivre sous occupation marocaine signifie vivre avec la crainte des arrestations arbitraires, de la torture, de la détention sans procès, des procès injustes, des disparitions, et des exécution sommaires- sans mentionner les discriminations sur le lieux de travail et le pillage des ressources naturelles du Sahara Occidental par le Maroc.

Le vide légal qui a existé de facto suite à la situation d'occupation ainsi qu'aux réticences de l'ONU d'assumer pleinement ses responsabilités, a créé une situation ou les violations continues de la légalité internationale par le Maroc a facilité la mise en place d'une discrimination bureaucratique contre les sahraouis. Ces mesures discriminatoires ont à leur tour facilité les violations des droits de l'homme, libertés de mouvement, de parole, d'association et information fondamentaux des sahraouis par les forces de sécurité marocaines.

La discrimination bureaucratique est la première façon par laquelle les Marocains exercent leur oppression et violent les droits des sahraouis.

Les documents d'identité délivrés par le Maroc aux sahraouis portent un « S » qui identifie immédiatement le porteur de ce document pour les forces de sécurité. Ce genre de discrimination et ses conséquences sont malheureusement bien connues dans l'histoire : l'usage de l'étoile jaune contre les juifs sous le nazisme vient à l'esprit, ainsi que la situation plus récente de l'Afrique du sud de l'apartheid et ses tristement célèbres lois sur les passeports intérieurs contre les populations africaines. Cette discrimination bureaucratique contribue à un strict contrôle des populations sahraouies et aux sévères restrictions qui pèsent sur leur liberté de mouvement : légalement, les sahraouis n'ont pas le droit de quitter les territoires occupés . De nombreux cas de torture, détention, et lourdes peines de prison sont à mettre en relation avec l'arrestation de sahraouis qui tentaient de s'échapper du Maroc en passant la frontière pour se rendre en Algérie (particulièrement dans la région de Oujda). Tout sahraoui qui a ses papiers d'identité vérifiés hors des territoires occupés tout en étant domicilié dans ces mêmes territoires, courts le risque d'une arrestation arbitraire et de mauvais traitements immédiats s'il ne peut pas expliquer pourquoi il se trouve ailleurs. Les voyages à l'étranger des sahraouis sont aussi étroitement contrôlés. Les autorités marocaines ne leur délivre que très peu de passeports, et l'obtention de ce document est accompagné de pressions et menaces. Une famille ne peut pas voyager toute ensemble : un enfant ou un parent doit rester en tant qu'otage virtuel afin d'assurer le retour du/des voyageur(s) sans que celui ait non plus osé porter ombrage à la réputation du royaume par peur des représailles contre les proches qui ont dû rester dans les territoires occupés. De telles pratiques rappellent aussi tristement le contrôle bureaucratique et dictatorial que la RDA exerçait sur sa population.

Un exemple particulièrement choquant de ceci a eu lieu le 24 mars de cette année : alors qu'ils se déplaçaient en vue de témoigner aux audiences de la 57ème commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève, Brahim NOUMRI et Mahmoud ELHAMED3 ont été arrêtés à l'aéroport de Casablanca, et leur passeports et documents ont été confisqués. Malgré l'indignation internationale qui a suivi, ils n'ont pas été autorisé à continuer leur voyage jusque Genève, bien qu'ils aient quand-même été relâchés par les forces de sécurité. Il leur est toujours interdit de se rendre à l'étranger.

L'histoire de l'occupation illégale et brutale du Maroc au Sahara Occidental s'illustre aussi par les violations perpétrées au cours de la répression contre toute opinion différente des vues officielles, et contre toute forme de protestation.

Ainsi certains sujets relatifs au droits de l'Homme n'ont pas bonne presse : en dépit de la publicité faite autour de la « démocratisation » du Maroc, pour les sahraouis, les blessures du passé sont loin d'être guéries. Dans son Rapport 20014 , Amnesty International écrit, au chapitre « Maroc/Sahara Occidental » que « …les autorités [marocaines] n'ont pas pu éclaircir les cas de centaines de « disparus », la plus part d'entre eux sahraouis, ni reconnaître les morts de quelques 70 sahraouis qui ont « disparu » en détention secrète entre les années 70 et le début des années 90 ». Dans le même rapport, AI nomme Brahim LAGHZAL, Cheikh KHAYA, et Laarbi MASSOUDI comme étant tous adoptés par l'organisation en tant que prisonniers de conscience.

Fin août, une campagne de grève de la faim de 48 heures par semaine a été lancé par le prisonnier politique vétéran Mohamed DADDACH, avec 25 autres détenus politiques eux aussi 5, afin de protester contre les conditions de détention inhumaines des prisons marocaines telles que celles de Marrakech, Kénitra, Sough El Arboua, Laayoune, et Inzegan.

Depuis la mi-septembre, les territoires occupés du Sahara Occidental sont le théâtre de protestations non-violentes (marches et réunions pacifiques, ainsi que distribution de tracts du Polisario et de drapeaux de la République sahraouie) qui sont sujettes à une répression violente : ainsi, plusieurs sahraouis ont été blessés et d'autres, torturés, durant le seul premier week-end d'octobre6 . Tous ces événements sont organisés par les sahraouis pour protester contre l'occupation marocaine, le report indéfini du référendum d'autodétermination, et pour commémorer l'intifada de 1999 qui avait alors secoué les territoires occupés, mené à la chute de Driss Basri du ministère de l'intérieur, mais aussi mené à une répression accrues des forces de sécurité marocaines ainsi qu'à une accélération de l'envoi de colons marocains sur le terrain.

Ces événements ont aussi lieu dans le sud marocain proprement dit où des communautés sahraouies vivent dans des villes telles que Goulimines, Assa et autres. Le FVJSS (Forum Vérité et Justice Section Sahara) documente depuis plusieurs années les exactions continuellement perpétrées contre les sahraouis et réclame « une enquête sur les violations des droits de l'homme commises au Sahara Occidental », tout en demandant aussi « le jugement des personnes responsables de telles violations, quelles que soient l'étendue de leurs responsabilités au sein du système de pouvoir7». Dans ce contexte, les conditions de travail, ainsi que l'accès à l'éducation et aux soins de santé des sahraouis, sont souvent compromis.

La répression sans pitié du Maroc contre les droits fondamentaux du peuple sahraoui et ses aspirations à l'autodétermination n'a qu'un seul but : imposer le fait accompli de son occupation illégale du Sahara Occidental, imposer son pillage des ressources naturelles du territoire, et imposer la présence croissante de colons marocains, dans le but d'avoir les moyens économiques et humains de déstabiliser ce même territoire en cas de besoin.

Une inquiétude grandissante est entrain de surgir au sujet du pillage illégal des ressources naturelles du Sahara Occidental. En avril cette année, une conférence internationale8 a réuni plusieurs spécialistes de droit international qui ont été unanimes à rappeler à toutes les personnes concernées qu'il est le devoir de la communauté internationale de protéger l'exploitation des ressources naturelles de ce territoire non-déterminé (puisque c'est le statut officiel du Sahara Occidental aussi longtemps qu'il reste sur la liste des pays en attente d'autodétermination du 4ème comité de l'ONU). Depuis qu'il l'a envahi, le Maroc empoche des profits considérables de son exploitation illégale des mines de phosphate de Bou-Crââ, mais surtout des contrats de pêche absolument illégaux conclus avec l'Union Européenne. Cette année, après que le Maroc ait refusé de renouveler ces contrats, il est apparu que des officiers supérieurs de l'armée marocaine, y compris des généraux des forces stationnées dans les territoires occupés, ont obtenus des licences de pêches illégales, et gèrent des flottes de bateaux de pêche, empochant ainsi l'argent qui partait avant à l'Union Européenne9 ! Des développements encore plus inquiétants ont lieu actuellement : le 4 octobre, la firme américaine Kerr Mc Gee a signé un contrat d'exploration pétrolière offshore dans les eaux territoriales du Sahara Occidental occupé (au niveau de Boujdour) avec le ministère marocain des mines et de l'énergie10 . Ce contrat illégal a été signé en présence de l'ambassadeur des Etats Unis à Rabat Margaret Tutwiler. L'accord, qui a été mentionné dans la presse marocaine, déclenche maintenant une campagne internationale d'indignation- les premiers à protester étant le Front Polisario ainsi que les organisations de solidarité11 .

Le silence est nécessaire pour que des violations aussi importantes de droits fondamentaux puissent avoir lieu durant des années : au fil du temps, le Maroc a réussi à imposer tout à la fois une censure impitoyable de la presse et une désinformation efficace : ce pays a particulièrement œuvré12 afin de s'assurer que sa propagande soit bien perçue et reçue par les plus grands journaux européens : la France et l'Espagne sont notoires pour leur approche totalement partiale du sujet du Sahara Occidental du fait des liens économiques et politiques « privilégiés » qu'ils entretiennent avec le royaume. La censure de la presse fonctionne de la façon suivante : il n'y a AUCUN reportage libre et indépendant possible dans les territoires occupés du Sahara Occidental- les journalistes étrangers sont lourdement et ouvertement placés sous la surveillance des nombreuses équipes du ministère de l'intérieur, des forces de sécurité, et de la police secrète. En ce qui concerne la presse locale, les timides tentatives de publication d'articles sur le Sahara Occidental, tout en étant dans la droite ligne de la propagande marocaine, ont abouti à la suspension de plusieurs journaux : en décembre 2000, les trois hebdomadaires Demain, Le Journal, et Assahifa, ont été suspendus sur ordre de Mohamed VI car ils menaçaient « la stabilité de l'état ». Ils avaient publiés une interview avec le leader du Front Polisario Mohamed Abdelaziz. Ultérieurement, ces journaux ont été autorisés à reparaître. La censure frappe également la presse étrangère, et ce dans de telles proportions que le 6 septembre 2001, l'organisation Reporters Sans Frontières a envoyé une lettre au ministre marocain de la culture et de la communication M. Mohammed Achaari, en se plaignant de ce que « chaque fois qu'un journal étranger publie un article qui déplaît au gouvernement marocain , il est interdit 13» .

La censure de la presse laisse le champ libre à une situation propice aux violations des droits des droits fondamentaux. De telles violations sont les conséquences logiques du mépris pour la légalité internationale : le conflit du Sahara Occidental est donc un des exemples qui illustre le plus tragiquement et clairement les raisons pour lesquelles les questions relatives aux droits de l'homme ne peuvent pas être traitées séparément du contexte plus large du droit international.

Bruxelles, octobre 2001


1. Ceci s'est passé en novembre 1975. Le Maroc a envahi le territoire connu sous le nom de Sahara Espagnol, d'après le pouvoir colonial qui le contrôlait jusque-là: la propagande marocaine a mis en scène une « marche pacifique » durant laquelle plus de 350 mille marocains amené par bus à pied d'œuvre, ont traversé la frontière en clamant à tort qu'ils « retournaient » dans « leur » Sahara. A l'intérieur des terres, loin des caméras du monde entier, les avions de chasse marocains bombardaient les populations civiles sahraouies, tandis que les soldats marocains semaient la terreur parmi les gens. Des dizaines de milliers de personnes ont alors dû fuir cette terreur et ont passé la frontière algérienne, pour s'installer en tant que réfugiés, dans la région de Tindouf. Le Front Polisario, que l'ONU reconnaît depuis le début des années 70 comme étant le représentant légitime des aspirations à l'indépendance du peuple sahraoui, a constitué à ce moment-là un gouvernement en exil, la RASD, République Arabe Sahraouie Démocratique, reconnue par plus de 70 pays à travers le monde. Le Front Polisario est reconnu officiellement comme étant l'autre partie en guerre contre le Maroc dans le conflit du Sahara Occidental. Le conflit est suspendu depuis l'entrée en vigueur en 1991 d'un cessez-le-feu sous supervision de l'ONU, dont le seul but est de permettre l'application du plan de paix ONU/OAU de 1991 devant mener à un référendum d'autodétermination que le Front Polisario et le Maroc ont accepté. Ce plan de règlement a été approfondi par les accords de Houston en 1997. Il n'y a strictement AUCUN autre accord existant entre le Front Polisario et le Maroc que ces deux-là.

2. MINURSO: Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara Occidental.

3. Pour plus de détails, consulter le site ARSO à www.arso.org

4. Le Report 2001 d'Amnesty International peut être consulté sur le site www.amnesty.org. Voir la section Regional Summaries, Middle East and North Africa, ainsi que l'article intitulé Morocco/Western Sahara. La traduction française du rapport devrait être disponible sur le site de l'organisation très prochainement.

5. Cette campagne est essentiellement coordonnée par le Bureau Européen pour le Respect des Droits de l'homme au Sahara Occidental basé à Genève (tel/fax: +41-22-320 6550, e-mail: bdh_sahara@hotmail.com ). Les informations sur cette campagne sont données sur le site ARSO.

6. Pour plus de détails, consulter le site ARSO, ainsi que SPS, le site de l'agence de presse sahraouie à www.site.voila.fr/sps_rasd

7. Voir dépêche en provenance de El Ayoune datée du 30/09/2001 sur le site de SPS.

8. Les communications de la conférence sont publiées dans Colloque des juristes sur le Sahara Occidental-Samedi 28 avril 2001, Paris, éditions de L'Harmattan, Paris, 2001.

9. Voir édition du début juillet 2001 de l'hebdomadaire marocain Demain-magazine, en particulier les articles de Thami Afaifal « La dorade à 70 DH », « Ca pêche en général », et « Les bateaux de la joie ».

10. Voir L'Economiste sur le site www.leconomiste.com, édition du 5 octobre 2001, dans la section De bonnes sources, article « Les scoops du jour ».

11. Voir les informations sur les sites www.groups.yahoo.com/group/Sahara-update, ainsi que www.wsahara.net

12. Dans ce cas, la « générosité » est synonyme de corruption : au cours des ans, le Maroc a acheté les sympathies dont il avait besoin, en donnant beaucoup d'argent aux rédacteurs en chef de nombreux journaux, en offrant des voyages exotiques et des reportages faits d'avance à de très nombreux journalistes du monde entier, s'assurant ainsi d'une couverture complaisante de l'actualité marocaine, voire de la non-couverture de certains sujets brûlants tel que le Sahara Occidental.

13. Consulter le texte sous la référence 09.07/Maroc, dans la section Lettres de protestation, sur le site de RSF à www.rsf.fr


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