OPINION

 La décolonisation du Sahara Occidental, une question obsolète ?

Hafida Ameyar - Journaliste (Algérie)

Janvier 1992-janvier 2002. Il y a exactement dix ans que le référendum, tant promis au peuple sahraoui devait se tenir, sous les auspices de l'ONU. Qu'est-ce qui bloque le processus référendaire et la décolonisation du dernier territoire africain ? Plusieurs analystes s'accordent à dire que la chute du mur de Berlin en 1989, puis celle de l'URSS à la fin 1991, a fracturé puis rompu le consensus établi, depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale, à l'échelle planétaire. Cette nouvelle situation a créé à la fois un climat de panique, de doute et une déstabilisation ressentie différemment d'un Etat à un autre. Elle a aussi laissé place au désarroi et aux déceptions des mouvements de gauche et des forces antisystémiques, ainsi qu'à une ère de grandes incertitudes. Une nouvelle étape qualifiée de monde plus violent. Que prépare l'après-11 septembre 2001, qui s'inscrit dans l'après-guerre froide ? Que nous réserve cette mondialisation, qui ne veut s'encombrer ni de l'indépendance des peuples ni de la souveraineté des Etats ni de la pluralité politique, qui mise sur le pillage des richesses des pays faibles, le plus souvent des anciens colonisés et qui s'acharne à asphyxier l'histoire du mouvement des sociétés ?

Dans la région du Maghreb, l'accession en avril 1999 de Abdelaziz Bouteflika à la Présidence de la République algérienne et le décès du Roi Hassan II du Maroc, trois mois plus tard, ont précipité le cours des événements. L'optimisme du début a laissé place, au fur et à mesure, à des inquiétudes, quant à la stabilité de la région, en termes d'avenir des jeunes Etats maghrébins, toujours en construction et d'avenir des frontières héritées de la période coloniale.

Au plan international, on a assisté à un retournement de situation, qui n'est d'ailleurs pas le premier. Prenant prétexte de l'importance des recours (quelque 140'000 recours, introduits dans leur majorité par la partie marocaine), les représentants du Secrétariat général de l'Organisation des Nations unies ont mis au point, en 2001, un accord-cadre, qui voudrait effacer le caractère colonial du dossier, cherchant ainsi à avaliser le fait accompli de l'agresseur et donc, l'intégration du Sahara au royaume marocain. Et ce, en violation avec les Résolutions onusiennes, le plan de paix et les accords de Houston ; en violation avec les engagements de l'ONU et ceux des deux parties en conflit, le Maroc et le Front Polisario. Alors que Rabat maintient le cap offensif, poursuivant ses reniements, la nouveauté, si j'ose dire, réside dans la position de retrait des deux pays Observateurs du processus de paix, l'Algérie et la Mauritanie, en particulier la position défensive d'Alger.

L'Algérie continue d'emprunter abusivement la démarche tactique. Cette attitude pourrait se justifier par la situation interne de crise, les fortes pressions exercées par des pays occidentaux, particulièrement les Etats Unis et la France, et le contexte de mondialisation. Mais cela explique-t-il la démarche du président Bouteflika, auprès du Secrétariat général de l'ONU, quant à l'examen de la 3ème voie et ses discours contradictoires. Une telle initiative sous-entend-elle l'acceptation d'une voie autre que celle de la décolonisation ? Laquelle ? La paix étant une construction légitime, ne devrait-elle pas reposer sur des fondements solides et durables, sur la force du droit, la transparence et le respect des engagements de chaque partie ?

Au-delà des facteurs pouvant expliquer la position actuelle de l'Algérie, se pose aussi le problème du démantèlement de l'Etat-nation et celui des limites du système politique actuel, qui nous renvoient à l'après-guerre froide. La disparition de l'ancien consensus mondial a déstabilisé beaucoup de pays du Sud et du Nord. L'effondrement du « bouclier » soviétique, celui-là même qui parvenait à canaliser l'impatience et les inquiétudes des pays du Tiers Monde, a créé des conditions moins favorables, pour ces derniers, pour rattraper leur retard et signifiait le blocage de l'étape de « développement national », étape qui a suivi la décolonisation et qui est restée inachevée, dans la majorité des pays en développement, dont les pays anciennement colonisés.

Cet état des lieux, ajouté à la bataille déjà engagée par des puissances du Nord pour le contrôle du marché mondial et la mainmise sur des zones d'influence, au retrait progressif de l'ONU de la gestion et des règlements de conflits, ne ferait, à mon sens, qu'encourager les anciennes querelles et l'hostilité, renforcer la misère et les situations de non droit. En d'autres termes, l'instabilité, la régression, le désespoir et les désordres ne sauraient tranquilliser le camp des pays développés et ses intérêts. Ni les ingérences ni les interventions ni les replâtrages des grands ne parviendraient à apaiser les tensions. Bien au contraire. Un aller-retour entre l'histoire passée et présente montre que le Maroc officiel adopte encore une position conquérante, menaçant l'équilibre du tissu régional et même d'autres intérêts, dont ceux de l'Espagne (enclaves de Ceuta et Melilla). Quant à sa situation intérieure, il n'est pas nécessaire de s'attarder ici sur les violations aux droits de l'homme et aux règles démocratiques : le système du Makhzen règne toujours.

Le même aller-retour indique aussi que l'Algérie, 40 ans après son indépendance, n'a pas réglé les problèmes et malentendus, nés de la guerre de libération et au lendemain de l'indépendance. Je ne peux nier d'autres faits, qui ont constitué de véritables freins à l'évolution naturelle des pays du Maghreb. Des faits liés à la logique de remise en cause des anciens colonisateurs, poussant les jeunes Etats aux divisions, sinon aux déstabilisations. Le non règlement du dossier du Sahara occidental s'inscrit, à mon avis, dans cette logique néocolonialiste : l'Espagne a renié ses engagements internationaux, soutenue par une France, disposant de positions économiques au Maroc et se sentant menacée par la Mecque des Révolutions. Un autre frein puissant à l'ouverture démocratique et à l'épanouissement des sociétés s'est imposé, au cours de la dernière décennie, à travers l'émergence du terrorisme islamiste, lequel a ébranlé l'Etat algérien et a failli le briser, si ce n'était l'intervention de l'armée - pour le bonheur et le malheur des Algériens ! -, seule force organisée devant les islamistes. Nul besoin de revenir ici sur la provenance des soutiens à ce nouveau fléau ni sur le rôle démoniaque joué par certains pays occidentaux et arabes. Tous ces freins conjugués à d'autres facteurs internes, tels que la rente pétrolière, les pratiques autoritaires et sectaires, la corruption, le clientélisme, l'inexistence d'un projet de société et/ou la confiscation de l'histoire des guerres de libération - non assumée par les anciens colonisateurs et les anciens colonisés -, ont contribué, grandement, à rendre les systèmes politiques au Maghreb, plus fermés à la différence, parfois hybrides. Ces systèmes sont devenus un énième frein au développement de leurs Etats, possédant des capacités de nuisance et pouvant porter préjudice aux intérêts stratégiques, nationaux et régionaux, face à une société civile, à l'état embryonnaire.

Aussi, lorsque le président Bouteflika et d'autres dirigeants algériens continuent à jouer à l'arme tactique, concernant la question sahraouie, il est légitime de se demander s'ils mesurent vraiment la portée de leur démarche et s'ils ne risquent pas, en maintenant leurs pressions sur les représentants du Front Polisario et de la RASD, de compromettre le processus de paix et donc l'indépendance du territoire sahraoui. C'est d'autant plus important lorsqu'on connaît la relation dirigeants algériens - dirigeants sahraouis. Une relation qui fait penser un peu à celle qu'entretenait l'Union soviétique avec des pays et partis politiques. Cela pourrait, peut-être, nous renseigner sur le pourquoi du retrait des autorités sahraouies du sommet Afrique-Europe, de l'arrêt des opérations militaires, l'an dernier, lors du passage du rallye Paris-Dakar, du gel des initiatives faisant l'unanimité chez les militants et les jeunes sahraouis souvent neutralisés, de l'attitude proche de l'allégeance de la direction sahraouie vis-à-vis des autorités algériennes. C'est d'autant plus inquiétant lorsqu'on prend conscience du nouveau contexte de l'après-11 septembre, qui fait déjà parler la force des armes et du déni. Lorsqu'on prend conscience de la nuisance terroriste à l'échelle planétaire et de ce que peut faire un peuple désespéré. La décolonisation du Sahara occidental est-elle obsolète ? Je ne le crois pas. Je pense qu'elle constitue, aujourd'hui, une sorte de baromètre, qui indiquera la tendance qu'empruntera l'humanité. Soit la voie de domination et de grands troubles, soit celle, plus difficile, de la poursuite de l'oeuvre d'indépendance, de liberté et de démocratie.

Janvier 2002


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