OPINION

 

Vous avez dit vengeance ?

Baba Sayed

 

L'un des frères n'a apparemment pas bien apprécié quelques uns des articles que j'ai consacrés au cours des dernières semaines, dans le cadre de la Rubrique « opinions », à la situation alarmante du Polisario. Il ne partage pas, semble-t-il, mon analyse qui a consisté à montrer que l'obsession de M. Mohamed Abdelaziz de se maintenir, coûte que coûte, au pouvoir a eu pour conséquence directe d'affaiblir le Polisario et d'annihiler toute possibilité de renouvellement et de régénération de ses instances dirigeantes. [voir l'opinion "Si a la critica honesta y no a la critica con espiritu de venganza"]

Il faut cependant dire que si mon frère s'était contenté de m'exprimer, dans les règles de l'art, son désaccord ou manifesté son opposition à ce que j'ai avancé en me montrant, preuves à l'appui, son contraire, je n'aurais certainement pu rien trouver à y redire. Après tout lui et moi nous sommes les produits de cette culture basée, bien avant l'émergence de ce que nous appelons de nos jours la démocratie, sur le principe qui relève de l'évidence pour tous les sahraouis, à savoir que le désaccord des opinions n'affectent en rien l'amitié (Ikhtilafou Arra'ai la youfsidou Lil Wouddi Kadiyya). Mais ce n'était malheureusement pas le cas dans la mesure où mon frère était allé jusqu'à affirmer, d'un ton sentencieux et péremptoire, que ma critique de M. Mohamed Abdelaziz était « malhonnête » et qu'elle était surtout motivée par un sentiment de vengeance. Faut-il rappeler au frère en question que toutes les législations célestes, dont celles positives n'en sont, pour la plupart d'entre elles que de pâles copies, sont unanimes à soutenir que ne peut percer au grand jour les intentions des êtres humains que le Tout Puissant qui s'est réservé Seul, à l'exclusion de tout autre, le privilège d'avoir accès au contenu de leurs cœurs ? Que la plupart des oulémas musulmans étaient jusqu'à affirmer que même les deux anges-témoins, affectés aux êtres humains durant leur vie, ne font que comptabiliser les paroles, faits et gestes de ces mêmes êtres humains sans toutefois jamais connaître les intentions qui les sous-tendent ? Faut-il enfin souligner à l'intention de mon frère que cette impossibilité de connaître ou de percer les intentions des êtres humains explique, selon beaucoup d'exégètes de l'islam, la sévérité des mesures prescrites par la religion musulmane pour encadrer et réglementer les travaux des tribunaux, mesures qui font obligation aux magistrats de laisser de côté, quand ils exercent leurs métiers, leurs propres « sentiments » et « impressions » et de ne tenir compte dans l'élaboration de leurs jugements que des seules preuves tangibles et irréfutables…

Tout cela pour dire à mon frère que contrairement à ce qu'il pense, je n'ai pas fait ce que j'ai fait par sentiment de revanche ou de vengeance. Et pourtant j'ai toutes les raisons du monde d'en vouloir à M. Mohamed Abdelaziz. Il a été celui qui m'a obligé, par son comportement ignoble et mesquin, à quitter ce morceau de désert que j'ai cru, jusqu'à la dernière minute, être le dernier à pouvoir, un jour, abandonner. Il m'a arraché à des êtres chers auxquels je n'ai même pas eu la possibilité de dire au revoir. Il m'a contraint, par son manque de chaleur et de détermination à défendre l'intérêt général du peuple sahraoui, son insensibilité et son manque de compassion à l'égard de ses enfants, ses femmes et ses vieillards, ses calculs à la petite semaine et son obsession de l'apparat et du pouvoir, à choisir, comme beaucoup d'autres, entre la seule indignité ou l'exil. D'autres, je sais, ont eu, par sa faute, à faire face à d'autres dilemmes autrement plus compromettants et plus graves, choisir entre devenir ses chaouichs ou faire allégeance au roi du Maroc ! Je reproche à M. Mohamed Abdelaziz d'avoir transformé le F. Polisario, cette organisation à laquelle j'ai sacrifié, comme beaucoup d'autres, plus de quarante printemps de ma vie, en une machine makhzénienne au service de ses seules ambitions de pouvoir et de grandeur. Machine qu'il n'hésite pas à utiliser, sans vergogne, d'une part, pour « casser » et compromettre des opposants qui se se sont sentis contraints et forcés, pour ne pas avoir à manger dans ses mains, de voler une partie des maigres « ressources » des réfugiés et semer, d'autre part, le désespoir, la terreur et la désolation dans les esprits et les cœurs d'une population désarmée et en désarroi. Population à qui on a promis l'émancipation et la dignité et qui s'est trouvée du jour au lendemain abandonnée à son triste et tragique sort .

Je pourrais continuer indéfiniment cette litanie des raisons qui m'amènent à ne pas porter M. Mohamed Abdelaziz dans mon cœur. Et pourtant ce n'est certainement pas cela qui m'a fait sortir de mon silence et réagir en écrivant les articles que j'ai écrits. Ce sont même d'autres raisons à l'opposé de tout sentiment de revanche.

Ce qui a motivé ma décision d'écrire ce que j'ai écrit est la certitude que les conditions sont propices et favorables pour que le Polisario, ou ce qui en reste, révise ses politiques et ses tactiques anciennes et se donner les chances de repartir, encore qu'il est temps, d'un nouveau pas. Car tous les indicateurs, comme disent les économistes, lui sont, dans les conditions actuelles, favorables. Nos zones occupées que la propagande marocaine a essayé de présenter, pendant trente ans, à l'opinion publique internationale comme des oasis « marocains » et fières de l'être, sont devenues, à la faveur du dernier soulèvement populaire généralisé, un enfer pour les forces d'occupation marocaine. Notre allié principal, l'Algérie a retrouvé sa bonne santé politique et économique. Il a surmonté, grâce au président Bouteflika, la majeure partie de ses difficultés. Le Maroc de Mohamed VI est un bateau voué irrémédiablement à la perdition. Ses difficultés économiques et politiques sont insolubles et ce n'est pas les derniers spasmes du Mahkzen qui peuvent nous convaincre du contraire. L'usage de la force comme moyen de gouverner est devenu, dans un monde devenu un petit village planétaire, une manifestation de faiblesse impardonnable. Ce que le Makhzen n'a pas compris. Quand il le comprendre, ce serait certainement trop tard.

Il me reste, mon frère, avant de suspendre ma plume, dans l'attente de la rédaction d'un prochain article, de vous dire pourquoi, selon moi, M. Abdelaziz est, plus que tout autre dirigeant sahraoui, le principal responsable de la situation dramatique que connaît Front Polisario.

-N'est-il pas le secrétaire général et le président de la République Arabe Sahraouie Démocratique ? N'est-il pas le chef suprême de l'armée, c'est-à-dire celui qui désigne tous les responsables militaires depuis le chef du groupe jusqu'au ministre de la défense ? N'est-il pas celui qui désigne tous les ministres, les directeurs des ministères, les secrétaires généraux des organisations de masses, les chefs des Wilayas, les représentants à l'étranger, les ambassadeurs, les membres des délégations en partance à l'extérieur, celui qui délivre les licences de la propriété des voitures…., celui qui est en charge des réserves en dinars et en devises, des infrastructures …etc., ?

Connaissez-vous mon frère dans les campements de réfugiés ou même dans le monde entier un « chef » qui détient de tels pouvoirs exorbitants ?

01.11.05

P.S : Notre prochain article serait consacré à dresser le portrait du chef du bureau occulte de M. Mohamed Abdelaziz


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