OPINION

 

Vers l'indépendance contre le chaos

Mutation géostratégique sahraouie

Ali Omar Yara
Sociologue des conflits, auteur de la
Genèse politique de la société sahraouie et de L'insurrection sahraouie : de la guerre à l'Etat. (Sous presse)

Le déclenchement de l'insurrection sahraouie, le 20 mai 1973, a donné lieu à de nombreuses réalisations. Le Front Polisario a conduit la société sahraouie à l'accomplissement de changements en profondeur, surplombant l'organisation traditionnelle.

Accomplissement qui s'est manifesté dans la forte réduction de d'illettrisme, l'abolition de l'esclavagisme et la réduction du patriarcat absolu. D'autant plus que le "changement progressiste" des structures sociales a pu s'opérer dans une conjoncture aussi brève que celle de 1973 à 2003. L'insurrection sahraouie s'est efforcée également à "détribaliser le politique" (malgré le fait que les évènements de 1988 ont failli aboutir à l'effritement patriotique), à barrer la route à l'opportunisme, à empêcher le dictat des principes religieux et du nationalisme idéologique, à stabiliser les institutions étatiques et parlementaires qui sont nées et ont fonctionné pendant la guerre, entre 1973 et 1991.

Force est de constater aussi que trente ans de lutte ont permis à cette société semi-nomade de se familiariser avec les structures de l'organisation sociale moderne.

Outre les dizaines de milliers de réfugiés vivant dans les camps socialement structurés dans des conditions alimentaires et morales de plus en plus dures, le Sahara occidental, du moins dans ses frontières de la colonie espagnole, reste scindé aujourd'hui en deux territoires, les territoires libérés entre les mains de la République sahraouie, et les territoires occupés, à fortes agglomérations urbaines, gérés, illégalement, par la royauté marocaine. Les fortifications militaires de 2 500 km de long, soutenues par plus de cent mille hommes en amont des murs, séparent ces deux zones d'un même peuple.

Il nous importe de comprendre "comment" les Sahraouis n'ont pas pu avoir accès à l'indépendance. Nous devons d'emblée exclure le raisonnement selon lequel le Sahara occidental ne serait que l'objet de tournois entre le Maroc et l'Algérie, ou un "enjeu" entre des entités politiques limitrophes, car nous doutons de la crédibilité de cette extrapolation commode, largement répondue dans la France académique. Si non, pourquoi les Sahraouis n'aurraient-ils pas capitulé en faveur de la Mauritanie ou du Maroc ?

Il faut donc revenir à des conjonctures historiques pour donner un aperçu critique des événements qui ont entravé l'indépendance du peuple sahraoui.

Au début des années mille neuf-cent cinquante, certaines analyses perçoivent la revendication marocaine sur le Sahara occidental, sur la Mauritanie et sur le Sud algérien, comme une "mise en scène" politique pour permettre, entre 1965 et 1972, à la dynastie et aux nationalistes marocains de sortir de l'impasse d'un nouveau clivage. Ce qui n'est pas dénué de vérité. La domination du Palais sur les partis politiques et associations issues de la lutte contre le colonialisme français et espagnol dans le Rif est maintenant une chose acquise.

La guerre menée par les Sahraouis contre l'Espagne, contre la Mauritanie et enfin contre le Maroc, est la preuve irréfutable qu'une autre identité culturelle et politique émane du seul choix du peuple sahraoui. Ainsi, en 1979, le point culminant des grandes offensives de l'ALPS contraint le Maroc, dernier à s'opposer à l'indépendance des Sahraouis, à négocier à cause de son incapacité de trouver une issue militaire à l'insurrection sahraouie et encore moins de gommer la conscience politique des citoyens sahraouis. Il souhaitait un cessez-le-feu, non seulement pour résoudre le problème du coût financier, que lui impose l'entretien de plus de cent mille soldats mais aussi pour éloigner les Sahraouis du théâtre de la guerre et les faire glisser sur le chemin des négociations politiques, là où il les pensait vulnérables.

L'intervention des Nations unies qui veillent, depuis 1963, sans résultats, sur le sort de ces territoires non-autonomes a été une opportunité pour Hassan II de faire avancer ces nouvelles propositions un peu décalées du principe de la marocanité absolue du Sahara. En effet, le Secrétaire général de l'ONU et l'envoyé spécial du Président de l'OUA présentent le 11 août 1988, au Ministre des Affaires étrangères du Maroc et aux représentants du Front Polisario, une solution de paix sous le concept "proposition de règlement dont l'objectif premier est l'organisation du référendum d'autodétermination". Vingt jours après, le 30 août 1988, les deux parties, le Maroc et le Front Polisario, ont accepté, ce "plan" et ont entamé des rencontres. Rien n'a abouti. Sauf qu'Hassan II a confirmé, le 16 janvier 1989, aux dirigeants des principaux partis politiques marocains, qu'il a reçus à Marrakech, que le Maroc ne céderait "aucun pouce de son territoire". Il s'agit pour lui de redéfinir une nouvelle option qui consiste à réunifier les rangs des Marocains "qu'ils soient de ce côté ou de l'autre". Il leur a affirmé que le Royaume "n'a pas le droit de laisser tomber un citoyen marocain pour la seule raison qu'il se soit égaré". Son mémoire adressé, le 30 juillet 1990, aux Nations unies va dans ce sens, puisqu'il insiste sur le "caractère non classique" de la décolonisation du Sahara occidental.

Entre temps, la guerre a repris de plus belle, et au cours de celle-ci les Sahraouis ont remporté sans difficulté, et malgré les fortifications militaires, des victoires sur les troupes marocaines. Le cessez-le-feu fut proclamé, le 6 septembre 1991, deux ans après ces négociations directes et les missionnaires des Nations unies ont été déployés sur dix sites, au Sahara occidental, à Zouerate, et à Tindouf pour contrôler l'arrêt des hostilités, s'assurer du repli des soldats marocains massés sur les tarmacs des fortifications et dans les agglomérations sahraouies et organiser le retour des réfugiés sahraouis en vue du référendum.

Même, avec l'affirmation du Front Polisario et la mise sur pied des institutions républicaines sahraouies, le roi du Maroc, Hassan II, voulait autodéterminer la région en demandant, à la communauté internationale, "le timbre et le drapeau", une "régionalisation" qui doit être adoptée, prédit-il, par un référendum affirmatif comme il le propose dans son discours lors de la célébration du XXe anniversaire de la marche verte, le 6 novembre 1996, confirmé le 3 mars 1997, lors de la fête du trône de cet ancien monarque. Autrement dit, l'effacement progressif de l'identité sahraouie, ce qui implique pratiquement, à court terme, le démantèlement pur et simple des institutions républicaines sahraouies édifiées depuis le 20 mai 1973, ou tout au moins le gel des institutions sahraouies pour en faire des centres administratifs autonomes dans le Sahara occidental. Cela implique logiquement que les Sahraouis n'ont plus de représentativité diplomatique à l'étranger, ni même un rapport direct avec les organisations humanitaires et solidaires du monde entier.

Le roi Hassan II se rapproche des Nations unies pour affaiblir la volonté des Sahraouis. Ce rapprochement ouvre la voie à une coulée de manigances interétatiques, qui ont vu le jour avec les anciens secrétaires généraux des Nations unies, Javier Pérez de Cuellar, Boutros Boutros-Ghali et Kofi Annan, à partir de 1997. Il se produit donc, à cet instant, une rupture causale entre les premières négociations maroco-sahraouies de 1988 et la décolonisation intégrale des territoires non autonomes. C'est dans ce champ miné que les Sahraouis ont dû se préparer à nouveau, sachant que toutes leurs ressources étaient mobilisées pour la guerre totale en vue de la libération totale. En jouant la carte de la légalité internationale à laquelle ils n'étaient pas préparés, ils étaient confiants, mais ont sous-estimé le fait que les Nations unies sous-traitent le "dossier" du Sahara occidental, en désignant "un haut fonctionnaire diplomate", trié sur le volet par l'establishment du capitalisme international, comme représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies. Ces "bizarreries" des Nations unies ne s'expliquent pas uniquement par la crise structurelle sans précédent dans l'histoire de cet organisme, mais aussi par l'absence d'une force coercitive, dont la crise irakienne de mars avril 2003 a été le point culminant.

La cause des Sahraouis n'a pas été confortée par une ferme application du droit international, le nouveau contexte l'en a écarté. Le problème du Sahara occidental ne se pose pas à l'origine de la revendication dite historique marocaine mais dans l'installation des deux puissances coloniales dans la région, la France et l'Espagne. Sur cette nécessité sécuritaire qui découlait de la progression française dans l'Afrique occidentale, il se greffait un autre facteur propre à l'Europe continentale : le rôle menaçant que pouvait jouer le Rio de Oro dans l'appui de la force de l'axe germanique.

Ce marché de rétrocession n'a pas abouti et le marchandage français n'a pas fait reculer le colonialisme espagnol dans le Sahara, mais il a alimenté le clivage constant entre les deux pays pan-européens à propos de la politique à adopter vis-à-vis des Sahraouis. La France va donc essayer d'exploiter sa conquête en Afrique du Nord pour instaurer une conception stratégique adaptée à ses intérêts. D'autant plus que le protectorat français au Maroc (1912-1956), a porté ses fruits économiques (le développement du pays arriéré par l'installation des services publics et d'une économie de marché moderne), et miliaires (écrasement des insurrections d'El Hiba dans le Sous et celle d'Abdel Krim dans le Rif ainsi que d'autres révoltes dans l'Atlas) mais, elle ne croyait pas que l'Algérie allait lui déclarer une guerre insurrectionnelle, sans merci. Il lui fallait donc, après l'indépendance de l'Afrique du Nord sous l'égide du nationalisme arabe, développer une politique opérante pour maintenir le Maghreb dans son sillage politique et économique.

De cette façon, la conception d'"équilibre" du Général De Gaulle lors de son gouvernement de 1946 devient le système à adopter pour cette région. Il ne s'agit pas d'une doctrine géostratégique proprement dite, mais d'une conception renforcée par le principe constitutionnel du "domaine réservé" dans lequel seul le Président de la république française peut décider des modalités de trancher dans tel ou tel "dossier", et en dehors de toute assise parlementaire ou d'opinion publique. Si la politique de Valery Giscard d'Estaing a favorisé le Maroc contre l'Algérie socialiste, sa politique des privilèges en faveur des Marocains a cessé avec la montée de la gauche au pouvoir en 1981, pour le retour à une politique pondérée entre les pays du Maghreb. Après l'évanouissement de la gauche française, lors des élections présidentielles de juin 2002, la droite gaulliste a rattrapé le temps perdu, pour réanimer cette conception d'équilibre et du "domaine réservé" au Maghreb que confirme la dernière visite en Algérie de Jacques Chirac. La France ne voulait "perdre ni la face ni la main" dans cette région de plus en plus vitale. Cette vision qui découle de son "régularisme" doctrinaire en Afrique aussi, relève de la nécessité de faire face à l'hégémonie américaine.

Mais, le "domaine réservé" l'a emporté sur la théorie de l'équilibre. Puisque la France n'a toujours pas de véritable "politique Sahraouie", elle doit la penser de façon sommaire dans le cadre étroit du système d'équilibre régional. En découle dans cette affaire son soutien au Maroc dynastique, qui se plaint d'ailleurs que la France, en ce qui concerne les "régions sahariennes", a donné la part du lion aux Algériens lors de l'indépendance de l'Algérie. En effet, si la France était en désaccord avec les nationalistes marocains quand ils prétendaient, à partir de 1956, à la "marocanité" du Sahara occidental, elle craignait, depuis 1976, un déséquilibre géopolitique du Maghreb en faveur de l'Algérie. Cette crainte s'exprime dans un soutien actif, militaire et diplomatique aux Monarchistes marocains.

Ainsi, et sans explications pour le Gouvernement français "le Sahara occidental est un enjeu très important pour la stabilité de la région, du Maghreb tout entier". D'où son appui à une "solution négociée" et non en faveur de l'autodétermination du peuple sahraoui. Le 3 mars 2003, le Président Jacques Chirac a exprimé cette idée à Alger, plaidant à travers l'échafaudage fictif de l'UMA, pour une négociation entre l'Algérie et le Maroc afin de résoudre le "différend territorial". Mais, il lui faut un appareillage idéologique, outre la théorie de l'équilibre et celle du domaine réservé : le "droit d'ingérence". En effet, son Ministre des Affaires étrangères aurait timidement évoqué, l'année dernière, la nécessité de libérer des prisonniers de guerre du Sahara occidental (1976-1991) entre les mains du Front Polisario, avant que le Maroc ne prenne le relais médiatique des "droits de l'homme". En effet, à l'occasion de la demande faite par l'Espagne au Front sahraoui, le 27 février 2003, de la libération de 100 prisonniers, le Maroc réclame ouvertement le retour des 1 160 prisonniers restants que Hassan II refusait d'évoquer.

Une autre constante géopolitique porte préjudice à la décolonisation du peuple sahraoui, c'est la primauté des affaires géopolitiques de la Méditerranée sur la décolonisation du Sahara occidental. La fixation sur la prépondérance du "Bassin" sur le reste de l'Afrique berbéro-arabe se concrétise dans les années 1930 à partir des Conférences nord-africaines. Primauté assimilant, de facto, les pays maures aux affaires du "bassin", sous le poids de Paris pendant et après la seconde guerre mondiale. Nommé "North Africa", après le déparquement américain, le Maghreb fut intégré dans les doctrines de la défense stratégique des Etats Unis en Méditerranée.

Ainsi, le pôle méditerranéen finit par prédominer sur la représentation stratégique du Maghreb. Sachant tout d'abord, que le Sahara occidental n'est pas méditerranéen, la Mauritanie non plus.

Plus précisément, le Maroc et l'Espagne refusent cette "deliaison" entre les affaires du bassin et celle du Sahara occidental. Le coup de force d'une demi-douzaine de militaires marocains déployés le 11 juillet 2002 sur l'îlot de Perejil inhabité (à quelques centaines de mètres des côtes marocaines, à 10 km de Ceuta et à 40 km à l'est de Tanger) exprime cette constante.

Par ailleurs, la rivalité franco-espagnole alimente cette primauté de la Méditerranée, et révèle le réflexe historique de chacun des deux pays pyrénéens. Après la Seconde Guerre mondiale, là aussi, la France et l'Espagne, comme en 1930 au Sahara occidental, "ne font pas bon ménage". En effet, le Gouvernement français a décidé, le 26 février 1946, outre d'autres mesures policières et économiques, l'interruption des communications, la fermeture des frontières entre la France et l'Espagne. A cette date, Georges Bidault, ministre français des Affaires étrangères, faisait remettre une note aux gouvernements anglais, soviétique et Américain exigeant pratiquement une intervention armée des puissances afin de chasser de l'Espagne Francisco Franco de Bahanmonte. Mais l'aide substantielle de l'ancien dictateur espagnol aux forces de l'axe au début de la Seconde Guerre mondiale n'a pas empêché les Etats-Unis et l'Angleterre d'épauler l'Espagne. La politique française qui tentait d'exclure l'Espagne des Nations-Unis n'a pas abouti. La IVe République française a maintenu une attitude d'ostracisme à l'égard de l'Espagne de Franco, les contraintes de la politique coloniale et le voisinage conduiront à une coopération militaire comme ce fut le cas lors des événements d'Ifni en 1957 et l'opération Ecouvillon en 1958 pour soumettre les Sahraouis à la domination et éloigner les effets positifs de l'insurrection algérienne de 1956 sur les régions du Sahara.

Mais, devant la crise de l'Irak en mars 2003, cette rivalité hispano-française se confirme. Car c'est à partir des accords bilatéraux de 1953, régulièrement renouvelés par la suite, que l'Espagne va servir de base à la force aérienne de la VIe Flotte américaine et au Strategic Air Command dont les B 47 stationnaient sur la base de Torrejon près de Madrid. A partir de la fin des années 50, la base de Rota sur le détroit de Gibraltar deviendra un élément important du dispositif américain en Méditerranée.

Le clivage entre la France et les Etats-Unis réanime le système d'équilibre régional maghrébin. La question du pétrole, en zone maritime sahraouie sous contrôle illégal marocain, se greffe sur cette mutation. De même, le projet de libre-échange entre le Maroc et les Etats Unis, annoncé le 14 janvier 2003, va dans ce sens.

Nous nous apercevrons, qu'à partir de ces conflits historiques entre les trois pays, la France, l'Espagne et les Etats-Unis et le retour des tractations politiques de 1974 autour du Sahara, ce n'est pas l'histoire qui se répète mais le réceptacle des tractations de ces acteurs.

Plusieurs indications événementielles partent dans ce sens : la relation hispano-algérienne renforce la position de la Méditerranée. Ces deux pays ont conforté à nouveau leurs relations diplomatiques, non pour résoudre les différents problèmes bilatéraux, ce qui peut se faire sans "tapage" médiatique, mais parce que les Espagnols ne peuvent pas affronter à eux seuls le Maroc dans le Sahara occidental. Là aussi, comme en 1975, l'Espagne se rapproche de l'Algérie, rapprochement concrétisé par la visite d'Abdelaziz Bouteflika début octobre 2002 en l'Espagne.

L'alignement de l'Espagne, de tradition otaniste, en faveur de l'intervention américaine contre l'Irak a eu des conséquences négatives au cours des événements qui renforcent encore une fois sa position dans l'arène internationale, comme ce fut le cas dans l'épisode de 1956, face à la position gauliste, qui nous l'avons vu, voulait l'exclure de toute action de ce genre. Les Nations unies ont été écartées, et pour longtemps, voire définitivement, de toute action en faveur de la paix, puisqu'elles sont réduites à l'action de la Société des Nations (SDN), après la réarmement de l'Allemagne Nazie, dans les années 1930.

L'Espagne voudrait s'acquitter de sa dette morale et se prononcer en faveur de l'autodétermination du peuple Sahraoui, mais elle s'efforce d'exposer ses intérêts qu'elle dit "stratégiques dans le Bassin", et elle ne peut pas, comme la France, se passer du Maroc. Elle ne sortira de cette spéculation diplomatique, voire de ce dilemme, qu'en dissociant ses affaires méditerranéennes de celle de la décolonisation intégrale du Sahara occidental.

Ce n'est pas uniquement la rivalité franco-espagnole, franco-américaine qui refait surface, c'est aussi l'UMA, "relique", copiée sur la Ligue arabe, qui entrave toute solution militaire et politique du conflit au Sahara occidental. Quand nous parlons du Maghreb nous désignons les forces motrices économiques et militaires du Maroc et de l'Algérie. A cette échelle, le clivage entre les deux pays a toujours sa raison d'être idéologique et économique, indépendamment de la question du Sahara occidental. Au contraire, c'est entre 1961-1963, 1971-1973, 1987 et 1992 que les deux voisins ont pu concrétiser leurs rapports mutuels, au moment où la tenue d'un vote au Sahara occidental était envisagée. La mise en exergue de cette conflictualité ne peut toujours être expliquée par le conflit du Sahara occidental mais aussi par des éléments historiques que nous aurons, très prochainement, l'occasion de mettre en évidence dans une autre publication.

Dans l'état actuel et même à long terme, le Maghreb occidental n'a pas de sens réel et ne peut fonctionner, avec un positionnement géopolitique et une crédibilité économique et financière que si l'Algérie ou le Maroc domine la région, ce qui est exclu pour l'instant. Le réalisme l'emporte. L'Algérie et la RASD maintiennent leur pacte de centra gravitasis stratégique, au sens militaire du terme, pour "dissuader" le Maroc de rompre avec ses conceptions hégémoniques archaïques. Nous restons convaincus que l'avenir géostratégique au Maghreb occidental se joue, en temps de paix comme en temps de guerre locale ou régionale, à partir de cette composante, contre toutes prémices de la théorie de l'équilibre en Afrique du Nord, qu'elle vienne des pays de la Méditerranée ou des Etats-Unis. Ensuite, et malgré vent et marée, le pilier de l'ordre géostratégique du Maghreb occidental demeure le pôle Algérie et RASD. Dans la mesure où la position sahraouie s'affirme davantage en coordination avec celle de l'Algérie, celle-ci reste à l'abri d'un sursaut de revendication marocaine sur des régions sahariennes, voire sur la région d'Oran.

On peut faire l'hypothèse que l'Algérie a "créé" le front Polisario et qu'elle préfère contrôler sur son propre territoire et faciliter la tâche à un mouvement qui mène sa lutte contre et vers l'extérieur, plutôt que de se retrouver en face d'un désordre social et ethnique dans le Sahara occidental algérien. Elle refuse un "cordon" sanitaire dynastique, auquel le Président Houari Boumédienne s'était opposé. Ce positionnement de l'Algérie vis-à-vis de la RASD relevant de la géopolitique pure, est compris et accepté par les Sahraouis, d'autant plus qu'il est bénéfique pour l'Algérie (acheminement des matières premières, des métaux et des produits vers et à partir de l'Atlantique), ce qui va considérablement couper la route commerciale marocaine vers la Mauritanie et affaiblir le flux commercial de la région du bassin de Marrakech et du Sous tourné vers l'industrie touristique binaire de plus en plus en crise. En contre-partie, non seulement l'Algérie apporte son appui pour l'indépendance des Sahraouis, mais aussi pour lutter contre le bloc franco-marocain installé par Pierre Lyautey depuis l'aube du protectorat sur la Dynastie alaouite.

Ainsi un pacte d'acier est né et qui dure depuis trente ans. En effet, trois décennies ont traversé la configuration géopolitique du Sahara occidental et de l'Algérie, deux systèmes républicains, l'ont représentée entre 1973 et 2003, c'est elle qui peut sceller le sort d'un Maghreb occidental. Ce n'est donc pas le retour des réfugiés sahraouis de Tindouf sous l'égide de la RASD qui va déstabiliser le Maroc c'est leur acceptation d'une autonomie élargie reproduite dans le "cafouillage" sémantique du plan de paix pour l'autodétermination du peuple du Sahara occidental (notamment son titre III. al. b.) à finalité incertaine. Ainsi, trente ans de lutte du peuple sahraoui doit aboutir à son indépendance et non à la négation de la République sahraouie, pour éviter le chaos.

19 mai 2003.


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