Jean-Pierre Tuquoi/journaliste expert du Maghreb et auteur de l'ouvrage «Le dernier roi» : « Les islamistes sont la première force au Maroc »

El Mundo (Espagne) lundi 25 février 2002

Jean-Pierre Tuquoi / Periodista experto en el Magreb y autor de 'El último rey', «Los islamistas son la primera fuerza en Marruecos», Rosa Meneses Aranda, El Mundo, Madrid, 25.02.02.

(Traduit par Martine de Froberville, président du Comité sur le Sahara Occidental et auteur de « Sahara Occidental, la confiance perdue˜L'impartialité de l'ONU à l'épreuve » L'Harmattan 1996)

Rosa Meneses Aranda

Madrid - Préoccupé par le luxe et sans une vision de l'État claire pour le Maroc, tel est le portrait que le journaliste et écrivain français Jean-Pierre Tuquoi fait du monarque alaouite, Mohamed VI, dans son livre polémique « Le dernier roi˜Crépuscule d‚une dynastie », récemment édité en Espagne par Círculo de lectores.

Dans votre livre, vous affirmez que « l'état de grâce est terminé pour Mohamed VI » et que jusqu'à ce jour, son règne s'inscrit dans la continuité de celui de son père. Quels signes confirment cette continuité ?

«Après son accession au trône, Mohamed VI a fait des gestes positifs, comme permettre le retour d'opposants ou destituer le ministre de l'intérieur de Hassan II, Driss Basri. Mais sur des questions telles que l'éducation, le Sahara Occidental, l'islamisme ou la condition féminine, la politique de Mohamed VI n'a rien changé. L'unique nouveauté est que le Gouvernement a moins de poids que dans les dernières années de Hassan II, face au rôle omniprésent du Palais. Cela n'est pas une bonne voie pour la démocratie, au contraire.»

Les élections prévues pour septembre prochain seront-elles l'occasion de discerner la direction dans laquelle est engagé le pays ?

«Je crois que les élections ne sont pas importantes. Elles ne vont rien changer parce que les islamistes, qui sont la première force au Maroc, ne peuvent pas se présenter comme parti politique. En outre, parmi les partis qui vont se présenter il n'y a pas de grandes différences. Aussi, l'avenir du pays dépend plus de la situation économique et sociale.»

Quel est le rôle dans la société du courant islamique « Justice et fraternité » dirigé par le cheikh Ahmad Yassine ?

«Son influence croît. C'est la véritable force au Maroc. Il faut réaliser que le Maroc est un pays sous forte influence de l'Islam, et non pas l'État occidental que les élites tentent de présenter. Les dirigeants islamistes marocains disent qu'ils ne sont pas comme les Algériens, que la violence ne leur plaît pas, mais ce ne sont que des mots. En réalité l'on ne sait pas très bien ce qu'ils veulent.»

Comment voyez-vous les relations avec l'Europe et notamment avec l'Espagne, suite à leur détérioration de ces derniers mois ?

«La France est l‚alliée du Maroc et elle fait tout ce qui est possible pour aider la monarchie ; nous le voyons au Sahara Occidental et dans d'autres questions. Telle n'est pas la position de l'Espagne.
J'aime l'attitude du gouvernement espagnol, elle est plus indépendante. Chirac soutient trop Rabat. Le Maroc est un pays très important pour l'Europe si l'on se réfère au volume des flux migratoires qu'elle accueille. C'est pourquoi, si les islamistes arrivent au pouvoir, cela peut devenir un problème pour l'Europe.»

Si Mohamed VI voulait instaurer une véritable démocratie, quelles réformes seraient inévitables pour y parvenir ?

«Il doit donner au Gouvernement la liberté qu'il n'a pas, changer la Constitution et faire en sorte que ce soit l'exécutif qui exerce le pouvoir. Le roi doit rester au second plan, comme dans l'exemple espagnol. Mohamed VI dit que le modèle espagnol n'est pas adaptable au Maroc, mais moi je pense que si, c'est l'exemple à suivre et je ne suis pas le seul. La monarchie alaouite, telle qu'elle est actuellement, est un anachronisme.»

Comment pensez-vous qu‚évolue le conflit du Sahara avec Mohamed VI ?

«Il n‚a pas beaucoup évolué depuis son arrivée au pouvoir. Je crois que la solution passe par des discussions directes et secrètes entre le Front Polisario et le Maroc. Des deux côtés l'on doit être prêt à faire des sacrifices. Je sais que les Sahraouisy sont prêts. S'agissant du Maroc, je ne le sais pas.»


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