Intervention auprès de la quatrième commission de décolonisation de l'Assemblée Générale des Nations-Unies

par

M. Jean-Paul Lecoq,
Maire de Gonfreville l'Orcher (France)
au nom du collectif** d'élus français
constitué le 9 juillet 1997
à l'Assemblée Nationale à Paris.

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais avant toute chose, remercier Mesdames et Messieurs les honorables membres de la Quatrième Commission de décolonisation, d'avoir bien voulu m'accueillir à l'occasion de leurs travaux sur le Sahara Occidental. Je voudrais aussi saluer l'importance historique de votre commission qui, depuis plusieurs décennies, a contribué à la définition d'un nouveau droit et à l'émergence de jeunes Etats.

La question du Sahara Occidental qui, avec d'autres élus français, me préoccupe et explique ma présence parmi vous est un des derniers problèmes de décolonisation non résolu. L'intérêt que je porte à cette question, au-delà de mes convictions à défendre le droit d'un peuple, se nourrit du jumelage que ma ville a signé en 1993 avec J'Réfia, localité sahraouie pour le moment installée dans un des campements de TINDOUF... Un jumelage qui a permis de nombreux et fructueux échanges entre nos deux populations. En effet, aussi bien en accueillant les enfants sahraouis qu'en envoyant des délégations de Gonfreville l'Orcher dans les campements de réfugiés, ma conviction et celle de mes concitoyens à défendre le droit de ce peuple, s'est renforcée tant nous avons pu admirer son courage, sa détermination, sa dignité.

En dépit des enjeux multiples dont ils peuvent être l'objet, la volonté des peuples s'impose toujours. C'est ma profonde conviction et à notre modeste place, avec quelques autres, nous essayons de les y aider.

Le Sahara Occidental a été en effet le noeud de convoitises tant politiques qu'économiques.

L'Espagne, ancienne puissance coloniale avait tenté de s'y maintenir le plus longtemps possible nuisant, par là même, au bon déroulement du processus d'indépendance. Ce, notons-le, en dépit des résolutions des Nations Unies et du travail de la quatrième commission qui, dès les années 60, reconnaissaient le droit inaliénable du peuple du Sahara Espagnol à l'autodétermination et invitaient, en 1966, l'Espagne à décoloniser sa province saharienne.

En même temps se renforçaient les convoitises extérieures. Pour le Maroc, en particulier, le Sahara Occidental représentait d'importants enjeux économiques et géopolitiques : réunir les phosphates sahraouis aux siens lui permettait de devenir le premier producteur et exportateur mondial de ce minerai, étendait sa façade Atlantique sur des fonds réputés pour la richesse de leur pêche tout en lui permettant de renouer avec le vieil axe Nord-Sud de sa politique extérieure, en faisant un premier pas vers la constitution d'un grand MAROC rêvé qui s'étendrait jusqu'aux bords du fleuve NIGER à travers le Sahara. La Mauritanie, dont l'économie dépendait en large partie du fer de Zouerate, ne pouvait qu'essayer d'entraver la marche vers le sud d'un Maroc qui la menaçait par ses visées, dans son existence même. A défaut de s'y opposer, une alliance semblait servir ses intérêts.

Ce premier cercle d'intérêts fut relayé par les calculs des puissances occidentales, dans le contexte de la guerre froide et de la volonté de préserver leurs influences au Maghreb. Alors que l'Espagne organisait, en 1974, un recensement des populations du territoire en vue d'un référendum, l'agonie de Franco et le souci de se débarrasser d'une province encombrante, entraînèrent la signature en novembre 1975, des Accords de Madrid avec le Maroc et la Mauritanie.

Ceux-ci prévoyaient que la puissance coloniale se retirerait en février 1976 et que le Sahara Espagnol serait partagé entre ses deux voisins. Cette entente intervenait peu après la fameuse "Marche Verte" à la faveur de laquelle le Roi Hassan II envoya 350.000 marcheurs au Sahara et en occupa la partie utile notamment El Aioun, Bou Craa et Smara. La France n'était pas non plus indifférente à la situation dans la région. Premier investisseur étranger au Maroc qui représentait pour elle un des relais de sa présence en Afrique, elle organisa, au risque de s'éloigner de l'Algérie, un véritable axe Paris-Rabat (soutien diplomatique, fourniture d'armes). Si la gauche réorienta - les premiers mois de son arrivée au pouvoir - la politique française (retour vers l'Algérie, ouverture d'un bureau du Front Polisario à Paris, etc.), elle devint vite plus prudente renouant avec la réalpolitik. La France prôna alors la non-ingérence dans le conflit saharien, ce qui aboutit de fait à une neutralité positive en faveur du Maroc.

Pourtant la Cour Internationale de Justice consultée en 1975 avait recommandé l'application des décisions de l'O.N.U. concernant le principe d'autodétermination.

De 1976 à 1980, en même temps que le Front Polisario multipliait les succès militaires, son travail diplomatique initia le processus d'admission de la RASD à l'OUA et obtint de l'O.N.U. la résolution 33/31 du 13 décembre 1978 dans laquelle l'Assemblée Générale affirmait "le droit du peuple du Sahara à l'autodétermination et à l'indépendance et la responsabilité de l'O.N.U. quant à la décolonisation du Sahara". Le Maroc quant à lui, créa la surprise en décidant en juin 1981 d'accepter le principe d'un référendum au Sahara.

La République Arabe Sahraouie Démocratique, proclamée en février 1976, était admise comme membre à part entière de l'OUA en novembre 1984, ce qui la plaçait désormais en situation d'inévitable interlocuteur dans toute négociation. Le roi Hassan II fut lui-même contraint à l'admettre et accepta en août 1988 le Plan de Paix proposé par les Nations Unies. Deux années furent encore nécessaires pour arriver à ce que le Conseil de Sécurité l'entérine à l'unanimité le 29 avril 1991 (résolution 690). Le cessez-le-feu proclamé en septembre 1991, l'installation de la Minurso au Sahara Occidental, tout indiquait que la consultation référendaire se tiendrait au cours de l'année 1992.

Je suis tenté, Mesdames et Messieurs, pour caractériser ces cinq dernières années, de citer le titre d'un ouvrage paru en France en 1995 : "Sahara Occidental : la confiance perdue. L'impartialité de l'O.N.U. à l'épreuve". En effet, en tant que Maire d'une ville jumelée avec les campements Sahraouis et avec d'autres collègues attentifs comme moi tant à l'application du Plan de Paix qu'au travail d'identification mené par la MINURSO, nous avons tant espéré en un règlement juste et durable, en un retour de la paix pour tous les Peuples du Maghreb - cet espoir nous semblait à la hauteur des ambitions des Nations Unies - que nous ne pouvions que gravement dénoncer leur impuissance, voire avec Martine de Froberville, leur impartialité.

La nomination de Mr Kofi Annan au secrétariat général des Nations Unies qui, très vite, désignait Mr James Baker comme son représentant personnel, nous a redonné confiance et sans doute encouragé à préparer cette démarche dont je suis aujourd'hui auprès de vous l'interprète.

Je voudrais à cette occasion citer les premières phrases de l'éditorial de Sahara Info, journal de l'Association française des amis de la RASD qui en mai 1997 écrivait : "L'actualité se bouscule, l'espoir renaît au Sahara Occidental avec la nomination de James Baker au titre d'envoyé personnel du secrétaire général des Nations Unies. Sans tomber dans un optimisme excessif, il faut bien reconnaître, que comme les Sahraouis et le Front Polisario, nous nous réjouissons de cette première décision d'un secrétaire général dont le pays a reconnu la RASD. L'arrivée d'une personnalité d'une telle envergure - ancien secrétaire d'état américain - manifeste d'un réel retour d'intérêt et d'une volonté d'aboutir qui, à priori, n'est pas défavorable aux Sahraouis. Ses premières initiatives confirment cette impression". Une importante étape vient effectivement d'être franchie. Percée historique pour l'application - tant d'années ajournées - du droit à l'autodétermination du Peuple Sahraoui. Permettez-moi de m'en féliciter, de rendre hommage au travail de Mr James Baker qui, par son autorité personnelle et sa conception élevée de sa responsabilité, a permis qu'en quelques semaines un processus bloqué depuis plus de cinq ans soit à même d'aboutir.

Je voudrais aussi rendre hommage aux parties en conflit, Front Polisario et Maroc, pour la volonté dont elles ont fait preuve au cours de ces négociations directes afin de surmonter les obstacles à l'application du plan et me féliciter de la présence très positive des pays observateurs, Algérie et Mauritanie. Cette commune volonté constructive prévalant au cours des négociations directes a permis d'aboutir à la conclusion des accords d'Houston et d'éliminer les différences majeures d'interprétation du plan, à savoir l'identification des votants, le retour des réfugiés, le cantonnement des troupes sahraouies et marocaines et le retrait partiel de ces dernières, l'échange des prisonniers de guerre, la libération des détenus politiques, le "code de conduite"... doit continuer de prévaloir pendant la phase d'application de ces accords.

Je ne peux, bien sûr, que me féliciter de la dernière résolution du Conseil de Sécurité qui, suite au rapport de Mr James Baker, a décidé, suivant ainsi les recommandations du Secrétaire Général de proroger le mandat de la Minurso, d'envoyer une mission technique de l'O.N.U. dans les territoires et d'établir un calendrier et un budget des opérations référendaires. Ces premières décisions sont fermes, vigoureuses et témoignent désormais de la volonté claire de la communauté internationale. Je prends acte de la récente déclaration faite à Paris par Mr Basri, Ministre de l'Intérieur marocain et espère vivement que ce nouvel esprit de réalisme et de responsabilité se manifeste tout autant sur le terrain et dans l'application loyale des accords.

Cependant, au nom du collectif des élus français, que je représente, je voudrais vous réaffirmer toute notre attentive vigilance à l'application de ce qui vient d'être décidé. En vue de préparer la rencontre européenne sur le Sahara Occidental qui se tiendra en Normandie (France) les 14,15, 16 novembre prochains, nous avons souhaité organiser une mission d'élus tant dans les territoires sous administration marocaine que dans les zones contrôlées par le Front Polisario.

A cet effet nous avons adressé en août dernier un courrier à Mr le Secrétaire Général. Permettez-moi d'en renouveler à cette occasion la demande.

Nous y serions porteurs de plusieurs questions et observations dont je voudrais aujourd'hui me faire le porte-parole.

- D'une part, les Nations Unies seront-elles l'autorité unique et exclusive du territoire pendant la phase transitoire ? disposeront-elles des ressources humaines et matérielles pour accomplir leur fonction avec efficacité et crédibilité ?

- D'autre part, les Nations Unies seront-elles ainsi en mesure

Enfin, les conditions de l'application du "code de conduite" défini et accepté par les deux parties à Houston selon lequel les Sahraouis doivent disposer de la liberté d'expression et de mouvement doivent pouvoir bénéficier de la présence d'observateurs internationaux indépendants et de la presse internationale. Cette présence peut participer à la création d'un climat de confiance, apporter des garanties de sécurité et de liberté et ainsi contribuer à la transparence et à l'équité du référendum.

Pour notre part, nous déploierons le maximum d'efforts pour que notre pays se mobilise et appuie les Sahraouis dans l'application de leur droit.

La 23ème Conférence Européenne de la coordination du soutien au Peuple Sahraoui à Hérouville-Saint-Clair sera une première tribune de même que la réunion des villes amies ou jumelées européennes et sahraouies qui se tiendra dans ma ville le 16 novembre prochain.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

Jean-Paul Lecoq
New York, le 9.10.1997

** Autres membres du Collectif d'élus français signataires de l'intervention à la 4ème Commission de l'Assemblée générale de l'ONU:


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