Paris, 10 mars 1998, siège de France Liberté, Fondation Danielle Mitterrand

Conférence de presse

de

M. Mohamed Khaddad,

Coordinateur du Front Polisario avec la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO)

 

Exposé sur l'état actuel du processus de paix de l'ONU et de l'OUA au Sahara Occidental

« Il n'échappe à personne que le problème du Sahara occidental est un problème de décolonisation &emdash; le Sahara occidental étant une colonie espagnole depuis 1884. En 1975, l'ONU s'apprêtait à organiser un référendum, la Cour internationale de justice (CIJ) allait dans ce sens par son verdict en disant que la seule solution c'était de donner la parole au peuple sahraoui.

C'est au peuple sahraoui de choisir librement son destin.

Malheureusement il n'en a pas été ainsi, ce verdict n'a pas été respecté. Comme tout le monde le sait, ce fut la guerre et le calvaire pour le peuple sahraoui.

La guerre a duré dix-sept ans, et il s'est avéré en fin de compte, sur le terrain, qu'il n'y avait pas de solution militaire. La guerre aura au moins montré qu'on ne pourrait pas taire l'agression du Sahara occidental, qu'elle ne passerait pas avec l'aisance escomptée, et qu'il est impossible de mettre à genoux le peuple sahraoui.

Enfin, l'OUA, l'ONU, en concertation, ont élaboré un plan de paix afin de permettre au peuple sahraoui de choisir librement son destin. Ce plan de paix qui a été adopté par le Conseil de sécurité en 1991 prévoit la consultation populaire sur la base du recensement espagnol de 1974; un recensement que nul ne peut contester parce-que l'Espagne a administré le territoire pendant un siècle. De plus, l'autodétermination s'effectue à l'intérieur des frontières héritées de l'époque coloniale, et c'est la population à l'intérieur de ces frontières-là qui est concernée par le référendum.

D'ailleurs, les accords signées par les deux parties en août 1988, ont prévu que le recensement espagnol de 1974, qui donne une population approximative de 74 000 personnes, soit la base pour la détermination du corps électoral. Après l'adoption de ces accords, de ce plan de paix, comme vous le savez, il y a eu le déploiement de la MINURSO et les préparatifs pour la tenue du référendum ont commencé.

Une nouvelle fois, cet espoir de voir le référendum organisé au début de 1992 a été ruiné.

Le Maroc est revenu sur ses engagements, refusant précisément que le corps électoral soit déterminé selon le recensement espagnol de 1974. En effet, dès l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 6 septembre 1991, le gouvernement marocain a introduit sur le territoire des dizaines de milliers de Marocains qu'il a installé dans des camps de toiles autour des villes de El-Aaïun, Dakhla, Smara et Boujdour. Créant ainsi l'obstacle fondamental qui a empêché la Commission d'identification de poursuivre son travail, mais encore totalement suspendu le processus référendaire.

Cependant il y a eu un début de travail effectué par la Commission d'identification, entre août 1994 et décembre 1995. Un total de 60 111 personnes ont alors été entendues des deux côtés: 37 970 du côté des zones sous contrôle marocain et 22 141 du côté des campements de réfugiés sahraouis. Mais la tactique de blocage du Maroc a eu raison de toutes les bonnes volontés, et de décembre 1995 à avril 1997, le processus a connu un temps mort, la MINURSO a été réduite à sa plus simple expression : un simple bureau politique à El-Aaïun et quelques observateurs militaires pour surveiller le cessez-le-feu.

En février 1997, M. Kofi Annan, le nouveau secrétaire général des Nations unies a désigné M. James Baker, ancien secrétaire d'Etat américain, comme Envoyé personnel.

M. Baker a entrepris une première visite dans la région qui l'a conduit au Maroc, au Sahara occidental, en Algérie, en Mauritanie et dans les campements de réfugiés sahraouis. Il a pris la température, écouté les deux parties, et sa conclusion fut : tout le monde tient à la mise en œuvre du plan de paix, mais on ne peut l'appliquer sans qu'il y ait négociation, parce qu'il y a des points de désaccord fondamentaux.

Sur cette base, M. Baker a invité le Maroc et le Front Polisario, ainsi que les pays observateurs - les voisins du Sahara occidental : l'Algérie et la Mauritanie -, à participer à un premier round de négociations à Londres en juin 1997. Ces pourparlers directs se sont poursuivis à Lisbonne, puis de nouveau à Londres, puis encore à Lisbonne pour aboutir, en septembre 1997, à Houston.

A Houston les parties se sont mises d'accord sur tous les points de divergence : l'identification des électeurs, le cantonnement des troupes du Front Polisario et du Maroc, le rapatriement des réfugiés, la libération des détenus, l'échange des prisonniers de guerre, et enfin le code de conduite qui doit régir la campagne électorale et la période transitoire, ont fait l'objet d'une série d'accords qui ont tous été saisis séparément et signés par les deux parties.

La signature de ces accords a créé un véritable mementum et encouragé le Conseil de sécurité à persister sur la voie de l'application du plan de paix. Dès le 3 décembre 1997, la Commission d'identification a pu reprendre son travail dans le territoire et dans les camps de réfugiés.

L'accord sur l'identification a fait l'objet d'un compromis, le nœud du litige étant « qui a le droit de participer au référendum ?

En 1992 - je le rappelle -, fin 1991, M. Perez de Cuellar a élaboré des critères d'éligibilité qui sont au nombre de cinq : 1° personne enregistrée dans le recensement espagnol de 1974; 2° personne ayant un document qui prouve qu'elle a résidé dans le territoire en 1974 mais n'a pas été incluse dans le recensement; 3° les parents proches de 1° et 2°, 4° personne appartenant à une sous-fraction sahraouie qui peut prouver que le père est né dans le territoire du Sahara occidental; 5° et enfin la personne qui peut prouver avoir résidé dans le territoire pendant six ans consécutifs ou douze ans par intermittence, avant 1975.

Ces critères ont été pris en compte également par les accords de Houston. Dans le recensement il y a les tribus qui sont classées en fractions et sous-fractions et qui sont présentes en nombre parce-que nul n'ignore que les frontières en Afrique ne tiennent pas compte de la réalité ethnique, linguistique ou raciale, et que ces frontières divisent parfois les familles, mais c'est un legs que l'Afrique a assumé au nom de sa stabilité. D'où le principe cardinal de l'intangibilité des frontières héritées de l'époque coloniale, et celui de l'autodétermination. Le Maroc veut que cela dépasse ce cadre afin de pouvoir introduire dans le corps électoral le nombre de personnes qu'il faut pour gagner le référendum. Ce n'est pas très difficile puisque la population du Sahara occidental est estimée à 74 000 personnes et celle du Maroc, à plus de 26 millions d'âmes.

M. Baker a tranché en disant qu'il y a, d'une part, des tribus sur l'identification desquelles tout le monde est d'accord, d'autre part, des tribus et des groupements de tribus contestés. Selon M. Baker, le Front Polisario doit assumer l'identification des personnes appartenant aux tribus contestées (inscrites dans le recensement espagnol), à l'instar des personnes appartenant aux tribus incontestées du recensement, et le Maroc, pour sa part, doit s'abstenir de présenter lui-même des listes de personnes, elles doivent venir d'elles-mêmes. Seules les personnes incluses dans le recensement espagnol de 1974, et leurs proches parmi ces groupements contestés, ont le droit de se présenter devant la Commission d'identification, et s'il y en a d'autres qui veulent se présenter ça doit être un petit nombre, et ces gens doivent se présenter individuellement.

Or, quand l'identification a repris en décembre 1997, le Maroc n'a pas respecté cet engagement. Au moment où la Commission a convoqué un millier de personnes appartenant à ces groupements, il y a eu plus de 12 000 personnes qui se sont présentées, non pas d'elles-mêmes, individuellement, mais plutôt encouragées par les autorités marocaines au vu et su de la MINURSO. Cela a compliqué la poursuite de l'identification.

Malgré tout, pendant les mois écoulés, de décembre 1997 à aujourd'hui, il y a eu à peu près 43 000 personnes qui ont été identifiées par la Commission, ce qui constitue un rythme acceptable, vu que pendant dix-huit mois, de 1994 à 1995, il y a eu à peine 60 000 personnes identifiées. Donc le rythme a plus ou moins triplé, la cadence de l'identification.

Cependant le problème de la réticence du Maroc à respecter les accords de Houston demeure. C'est pourquoi j'ai été à New-York et à Houston pour discuter de ces questions.

Aujourd'hui, l'identification va reprendre après un arrêt de dix jours, pour les sous-fractions incontestées et M. Baker pense que pour revoir la question des groupements contestés, il faut attendre le mois d'avril.

Alors que tout le monde pensait que le problème avait été réglé à Houston et que le Maroc allait respecter ses engagements, nous nous trouvons actuellement dans une situation difficile où le Maroc laisse entendre, coûte que coûte: il réussit à imposer le nombre d'électeurs qu'il lui faut pour gagner le référendum sinon point de référendum. Il faut dire que le Conseil de sécurité en est très conscient, le Secrétaire général des Nations unies également, et même s'il est possible que le Maroc bloque à nouveau le processus référendaire, ce ne sera pas avec la facilité d'antant .

QUESTIONS.

Q : La nouveauté ?

R : La nouveauté c'est que le processus d'identification va reprendre demain, avec deux centres dans les territoires occupés et deux centres dans les camps de réfugiés, et qu'il se poursuivra pendant tout le mois de mars en Mauritanie (notamment avec l'ouverture d'un nouveau centre à Nouadhibou, après celui de Zouérate), deux nouveaux centres au nord du Maroc, à Kalaat Serghana et à Sidi Kacem. Donc il se poursuivra même s'il y a encore ce problème des tribus contestées.

Q : Youssoufi, premier ministre au Maroc ?

R : L'alternance est une opportunité, une chance unique pour la paix. Nous souhaitons que le réalisme prévale enfin, que le nouveau gouvernement contribue à l'établissement d'une paix juste et définitive dans cette région.

Q : Tribus contestées ?

R : Ce sont 25 tribus qui représentent selon le recensement espagnol au Sahara occidental en 1974, 532 personnes seulement, alors qu'actuellement, il y a 48 000 requerrants qui prétendent être sahraouis et appartenir à l'une de ces 25 tribus. De surcroît, ces gens qui prétendent avoir fui la colonisation et la sécheresse vivent aujourd'hui encore au Maroc, à Oujda, Agadir, Casablanca, Tanger, etc. Alors que le Maroc occupe une partie du Sahara occidental depuis vingt-trois ans déjà, s'ils étaient de véritables sahraouis, ils y seraient déjà retournés. Au lieu de cela la Commission d'identification doit aller les chercher dans leurs douars pour les identifier [cf: l'ouverture des deux centres à l'intérieur du Maroc, ndlr]. C'est dire que véritablement, les Nations unies sont conscientes de ce problème.

Q : Nouvelle rencontre avec les Marocains ?

R : Il se pourrait que M. Baker envisage cette éventualité. En tous cas, M. Baker reste sur le dossier, continue de suivre les développements de la question même si M. Dumbar, le Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU est déjà à El-Aaïun, et continue de chercher une solution à tous les problèmes qui se posent, y compris en appelant à nouveau les parties à discuter, à Houston ou ailleurs.

Q : Le respect des délais ?

R : Le travail de la Commission d'identification reprend demain. Elle va travailler pendant tout le mois de mars et tout le mois d'avril, même si certaines tribus font l'objet d'un litige, le processus va continuer. Il se pourrait que la période fixée dans le calendrier des Nations unies, c'est à dire fin mai, pour en terminer avec l'identification ne soit pas obligatoirement respectée. Mais cela ne remet pas en question pour autant l'échéance du 7 décembre.

Q : La MINURSO va donc avoir des problèmes ?

R : L'encadrement essentiel de la MINURSO est présent sur place: le Commissaire de police, canadien, le chef de la composante militaire, autrichien, le président de la Commission d'identification, britannique, le représentant spécial, américain. Actuellement, les unités de déminage sont déjà sur le terrain. Le HCR se prépare activement pour le rapatriement des réfugiés, et la Commission d'identification continue son travail. De là à prévoir qu'il y aura des embuches… Cela se pourrait bien, mais je pense que tout le monde tient au respect du calendrier arrêté par le Conseil de sécurité. Il se pourrait bien qu'il y ait des difficultés, la preuve en est déjà faite puisque voilà qu'on butte actuellement sur le problème des groupements contestés qui a été pourtant réglé à Houston.

Q : Déminage ?

R : Le déminage n'a pas encore commencé, mais il y a des unités militaires du Pakistan et de la Suède qui sont déjà sur le terrain pour effectuer le repérage des zones à déminer.

Q : La France ?

R : Le gouvernement français serait à mon avis l'un des premiers bénéficiaires d'une solution juste et définitive de ce conflit. J'espère que la France qui apporte sa contribution au sein du Conseil de sécurité, encourage le respect du calendrier fixé par l'ONU et la tenue du référendum conformément aux dispositions du plan de règlement. La solution ne peut être qu'une solution démocratique, notre espoir est que le gouvernement français en tienne compte.

Q : Rapports avec le gouvernement français ?

R : Les contacts existent, mais franchement, ils ne sont pas ce que nous souhaiterions qu'ils soient. Nous préférerions que la France s'engage davantage, qu'elle use de sa présence pour faciliter le déroulement du plan de paix.

Q : Ce qui a été réalisé jusqu'à présent ... ?

R : L'identification a commencé le 3 décembre et se pousuit. Il y a des contacts pour la constitution du bataillon de sécurité qui est très important; l'essentiel de ce bataillon sera constitué principalement par des pays européens. Des officiers du Pakistan et de la Suède sont déjà sur place pour le repérage des mines. Le HCR est actuellement présent sur le terrain, entame ses préparatifs pour effectuer un pré-enregistrement des réfugiés et connaître leur désir de retour là où ils veulent.

Q : Disparus sahraouis ?

R : Le juriste indépendant, Emmanuel Roucounas, s'occupe de cette question. Nous avons des contacts suivis avec lui. Il s'est dernièrement déplacé à Rabat où il a remis la liste des disparus sahraouis aux autorités marocaines mais il n'a pas encore reçu de réponse satisfaisante. Comme vous le savez, le plan de règlement prévoit que la libération des détenus politiques se passe après le jour J c'est à dire à la mi-juin 1998.

Q : Le nombre d'électeurs ?

R : Il ne faut pas faire l'amalgame entre « identifiés » et « éligibles ». On peut être identifié sans avoir le droit de voter. Seule la Commission d'identification peut établir le droit d'éligibilité sur la base d'éléments de preuve que lui apportent les applicants. Houston a éliminé quelques 65 000 personnes appartenant aux groupements contestés; éliminées pour ne pas être identifiées parce que leur identification serait une perte de temps et de moyens pour les Nations unies, d'autant plus que ces gens-là n'ont pas la moindre preuve pour démontrer leur éligibilité. C'est là que nous avons des difficultés. Est-ce qu'ils seront finalement acceptés à l'identification alors qu'on sait par avance qu'ils n'ont pas de moyens de prouver leur bonne foi &emdash; sur la base des cinq critères ? ou est-ce qu'on va respecter scrupuleusement l'esprit et la lettre de Houston et dire que seules les personnes parmi ces groupements, qui sont dans le recensement espagnol de 1974 auront le droit à l'identification ?

Q : Le nombre de personnes à identifier ?

R : Selon les accords de Houston et le rapport du Secrétaire général des Nations unies, de novembre 1997, 117 000 personnes sont à identifier dont 43 000 l'ont déjà été.

Q : Pourquoi la France serait-elle intéressée par le Sahara occidental ?

R : D'abord, parce qu'elle a des relations privilégiés et particulières avec les pays de la région, ensuite la paix est dans l'intérêt de tout le monde, et enfin, les Sahraouis ne ferment pas la porte aux intérêts économiques de la France.

Q : L'actuelle campagne de presse marocaine ?

R : C'est de la nervosité. En voyant le processus se poursuivre, et surtout en sachant que l'heure de vérité approche. Il y a une volonté de discréditer à la fois et la MINURSO et le Front Polisario. Le Maroc veut donner l'impression qu'il y a une alliance entre la MINURSO et le Front Polisario contre lui, alors qu'il n'en est absolument rien. La Commission d'identification donne les mêmes chances aux deux parties. C'est une campagne qui n'a pas de sens dans la mesure où seule la Commission d'identification décide de l'éligibilité de la personne. Ce n'est pas le Front Polisario. Le Maroc veut maintenant que le nombre des personnes éligibles, ayant été identifiées, soit publié, alors qu'entre 1994 et 1995, il avait une position tout à fait contraire. C'est une manière d'entraver le processus. S'il s'aperçoit que le nombre d'électeurs ne le satisfait pas, il veut avoir toute la latitude de se retirer du processus.

Q : Chantage ?

R : Basri est clair, il dit: « si le corps électoral ne me satisfait pas, je n'irai pas au référendum. » Cela revient à dire: « je gagne ou bien je ne joue pas ». C'est du chantage. Mais le référendum est une opération démocratique mise entre les mains des Nations unies, c'est donc la Commission d'identification qui détermine qui va voter. Les règles du jeu doivent être acceptées par tout le monde. Les Nations unies ne sont pas là pour organiser un référendum confirmatif comme le désirent les marocains. Ni avec la guerre, ni avec le temps, ni avec la propagande il n'a été possible de passer outre l'avis de la population sahraouie.

Q : Les accords de Houston ont-ils abordé la question de l'après-référendum ?

R : Malheureusement non. Cela n'a pas été discuté, mais je pense que la présence du Représentant spécial, la présence d'observateurs des deux parties au processus d'identification créé les conditions permettant au Représentant spécial d'aborder cette question. Le Front Polisario pour sa part, ne ferme pas la porte à une discussion à propos de la période post-référendaire. Nous sommes disposés à discuter de toutes les questions relatives à la période de l'après référendum dans le cadre des deux options: l'indépendance ou l'intégration. Mais la solution passe d'abord par les urnes.

Q : Campagne électorale ?

R : La campagne électorale doit être une campagne civilisée, avec le respect du code de conduite signé par les deux parties sous les auspices de M. Baker. Et bien entendu, le Maroc est au Sahara occidental depuis 23 ans, il a une colonie sur place, une armée, peut-être des intérêts économiques dans le territoire, c'est un voisin … Ces éléments sont pris en considération par la partie sahraouie.

Q : L'opinion publique marocaine ?

R : Au Maroc, les crimes passibles de la peine capitale sont: attenter à la personnalité du Roi ou dire que le Sahara occidental n'est pas marocain. Donc, en ce qui concerne l'opinion publique marocaine, je ne sais pas s'il faut tenir compte de ce qui prévaut publiquement car, en fin de compte, nul ne peut exprimer librement son point de vue sous peine de représailles. Mais je pense qu'après 23 ans de guerre, tout le monde doit comprendre que l'intérêt est dans une solution démocratique; l'intérêt est de permettre aux sahraouis d'exprimer librement leurs choix; c'est une population qui n'a aucune haine ni rancune contre la population marocaine et qui est disposée, dans le cadre d'un Etat sahraoui, à avoir avec elle les meilleures relations d'entente, de coopération et de bon voisinage.

Q : La liberté d'expression pendant le référendum est-elle garantie ?

R : C'est une grande préoccupation et c'est bien le lieu de le dire, parce que des élections libres sont des élections sans pression, sans intimidation, sans harcèlement, et tout le monde sait que le référendum aura lieu en présence de 65 000 soldats marocains, quelques 200 000 colons, une administration marocaine, une police marocaine omniprésente … Mais il y a cependant la présence des Nations unies et celle de tous ceux qui souhaitent le triomphe de la démocratie dans cette région. Ceux-là, qui veulent voir des élections libres et démocratiques doivent être présents, doivent se mobiliser pour que le référendum soit véritablement comme le demandent les Nations unies et les accords de Houston : un référendum libre, juste et transparent. Nous comptons sur la présence de la Communauté internationale, des observateurs, des journalistes, des amis pour pouvoir concrétiser des conditions de liberté, d'équité et de transparence totale, et que le choix exprimé par le peuple sahraoui, dans ces conditions, soit respecté. L'enjeu est de taille. Il revient à tout démocrate, à tous ceux qui veulent la paix dans cette région, de se mobiliser …

Q : Les observateurs ?

R : Le code de conduite élaboré à Houston et signé par les deux parties, admet deux sortes d'observateurs: d'une part la possibilité pour les deux parties d'avoir leurs partisans, c'est à dire des amis qui viennent faire campagne avec eux, avec des fonds, leur savoir-faire, leur présence physique; et d'autre part, des observateurs neutres, c'est à dire les organismes spécialisés dans l'observation des élections. La seule formalité exigée est : prendre contact avec le représentant spécial qui a, lui seul, le pouvoir d'autoriser leur présence dans le territoire. Cette question ne dépend pas des parties, mais du Représentant spécial, et uniquement de lui.

Q : Lieux du vote ?

R : Il est prévu que le vote ait lieu à l'intérieur de cinq agglomérations qui regroupent en tout 250 bureaux de vote. Trois villes situées à l'ouest du mur, c'est à dire dans les territoires occupés par le Maroc, et deux à l'est du mur, c'est à dire dans les territoires sous contrôle sahraoui. Les emplacements exacts des bureaux n'ont pas encore été fixés. Mais comme c'est un référendum qui concerne le territoire, seules les personnes qui seront présentes dans le territoire pourront voter. Cependant, il n'y a pas de limitation pour le choix du lieu de vote.

Q : Le nombre de réfugiés à rapatrier ?

R : Le principe accepté, également à Houston, c'est que le rapatriement des réfugiés se fasse sur la base de la politique traditionnelle du HCR : c'est à dire, le retour volontaire et le libre choix du lieu de retour. Le HCR a fait un pré-enregistrement en août dernier portant sur 2000 personnes environs et il va reprendre d'ici deux semaines, l'enregistrement des personnes qui ont déjà été identifiées parce qu'il faut rappeler que seules les personnes habilitées à voter et leur famille proche, ont le droit de retourner dans le territoire, c'est à dire que ce ne sont pas tous les réfugiés qui y retourneront, seules les personnes qui ont été acceptées par la Commission d'identification à prendre part au scrutin et leur famille proche ont le droit d'y retourner. Et tant que la liste des personnes admises n'est pas complète, le HCR ne peut finir son travail.

Q : Un chiffre.

R : L'estimation du HCR est de 105 000 personnes

Q : Le transport ? par avion ?

R : C'est une question que nous allons discuter avec le HCR, car le rapatriement par avion est coûteux (cela représente à peu près 60% du budget prévu par le HCR) et préjuge plus ou moins du choix de la population qui n'a pas encore été consultée sur les lieux où elle va retourner, dont certains n'ont pas d'aéroport, notamment dans les territoires libérés (Agouinit, Mijec, Tifariti, etc.)

Q : Problème de l'eau ?

R : Malheureusement le HCR n'a pas encore entrepris d'efforts suffisants en ce qui concerne la recherche de l'eau pour rendre les zones du rapatriement vivables. Il n'y a pas eu encore de repérage des routes, ni déminage, ni de construction d'entrepôts pour les vivres. Donc il y a un certain retard.

Q : Que se passera-t-il si le référendum n'a pas lieu ?

R : La lutte continue.

Q : Ne craignez-vous pas une réaction belliqueuse venant du Maroc si le résultat tranche en faveur de l'indépendance ?

R : Nous nous inscrivons dans l'action de la Commission d'identification et du Conseil de sécurité de l'ONU. Il y a un plan de paix qui prévoit l'organisation d'un référendum. Le Front Polisario acceptera et assumera le résultat si ce référendum est conforme aux règles établies notamment de liberté et de transparence. Pour le reste, si le Maroc exerce un chantage &emdash; ou le résultat lui est favorable ou bien c'est la destabilisation, la guerre ou la guerre civile &emdash; libre à lui de l'entendre ainsi, mais ce sera démontrer qu'il n'a pas une volonté de paix. Mais je m'abstiendrai de faire ce jugement avant de voir comment les choses vont évoluer. J'espère que le Maroc saura saisir cette occasion de paix, et qu'il contribuera positivement pour que le plan de paix aboutisse.

Q : Et si le Maroc change d'avis après le retour des réfugiés ?

R : Dans la vie les risques ne se comptent pas. Les possibilités de revirement existent. Le Maroc pourrait se retirer après la publication des listes des votants, il pourrait le faire dès le retour des réfugiés, il pourrait le faire durant la campagne électorale, comme il pourrait le faire à l'annonce des résultats du scrutin. Ce sont des options, des possibilités, et c'est une raison de plus pour dire que la Communauté internationale est là, il y a un référendum qui doit être organisé, et souligner l'effort que doit entreprendre tout un chacun, pour que ce plan de paix se concrétise. Il faut placer des garde-fous là où il y a des risques de débordement.

Q : Réaction des Sahraouis côté marocain ?

R : Une guerre ouverte de la part du Maroc ? peut-être. Une guerilla émanant des Sahraouis ? non. Je pense que cela n'a rien à voir avec la réalité et qu'aucune tribu sahraouie, pour parler franchement, n'accepterait de jouer ce jeu.

Q : Le cantonnement des troupes ?

R : Le plan de paix prévoit la réduction des troupes marocaines au nombre de 65 000 le long du mur de défense. Elles seront contrôlées par les Nations unies, les armes offensives seront retirées, les unités de logistique qui seront dans les villes vont être également mises sous contrôle de la MINURSO, les soldats ne pourront sortir ni avec une arme, ni en tenue militaire, les forces paramilitaires seront neutralisées et contrôlées par la MINURSO, il y aura un contrôle des frontières. Du côté du Front Polisario, les accords de Houston prévoient le cantonnement de jusque 2000 soldats à l'intérieur du Sahara occidental, jusque 300 en Mauritanie, et le reste, en Algérie.

Q : Effectifs de la Minurso ?

R : 1850 hommes.

Transcription : Représentation du Front Polisario en France.


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