OPINION

 

Des dirigeants d'honneur et un peuple fier et généreux !

Baba Sayed

 

Il y a trente ans, le Maroc, après avoir été désavoué par la commission d'enquête des Nations unies[1] envoyée dans le territoire du Sahara Occidental et débouté par la Cour Internationale de Justice (CIJ), décida d'organiser une marche « pacifique » sur le Sahara Occidental, marche qui n'était en réalité, on l'oublie souvent, qu'un simple et commode paravent pour les cent cinquante milles de soldats marocains, armés jusqu'aux dents, qui prenaient d'assaut, en même temps, les paisibles villes et les villages sahraouis désarmés.

Période pénible et dramatique, dont nous essayons, trente ans après, de rappeler, dans le cadre de la présente tribune, le contexte historique, et ce, à un moment où le « voyou » régime marocain, et dans le cadre de la campagne de dénigrement, sans précédent, qu'il a orchestrée, depuis les derniers mois, contre l'Algérie soeur, n'hésite pas à faire appel, pour donner un semblant de crédibilité à ses grotesques et farfelues accusations, aux services de certains de nos harkis. Ce rappel nous l'avons jugé utile car nous sommes convaincus que les nations, comme par ailleurs les individus, ne peuvent réussir à affronter les épreuves de l'adversité - comme celles auxquelles les sahraouis font collectivement et individuellement face présentement - qu'en puisant dans leur histoire et leur mémoire les impératives raisons d'une nécessaire et salutaire quête de la liberté et la dignité, liberté et dignité qui sont, cela va de soi, les conditions élémentaires et indispensables d'une réelle vie humaine.

Souvenons-nous, en 1975, la guerre froide battait son plein sur tous les continents. Chacune des deux superpuissances de l'époque, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union Soviétique, essayait, dans le cadre d'une stratégie de domination planétaire, d'avancer ses pions sur l'échiquier international et de conforter ses alliés. L'importance économique et stratégique des zones « disputées » et les orientations idéologiques des protagonistes impliqués servaient, entre autres critères et plus que les considérations de justice ou droit, de moyens commodes pour identifier l'importance de ce que les spécialistes des relations internationales appelaient pudiquement les foyers de tension. Ces derniers, classifiés et répertoriés selon des échelles d'évaluations bien précises qui permettaient à chacune des deux superpuissances de déterminer, avec précision, ce que les stratèges de la guerre froide nommaient leurs degrés d'« intensité », et en conséquence la nature du traitement -traitement de faveur ou royale indifférence- dont leurs protagonistes devrait bénéficier.

Dans la mesure où l'intensité de la guerre de libération nationale menée par le Front Polisario depuis 1973 était jugée par les idéologues des deux superpuissances sinon nulle du moins très faible, le sort du peuple sahraoui paraissait presque scellé. Perspective qui n'a pas échappé au machiavélique roi du Maroc de l'époque, allié fidèle des Occidentaux et important client de Moscou, qui paraissait persuadé que l'invasion qu'il projetait du Sahara Occidental, avec la complicité de l'Espagne et de Nouakchott et le soutien actif de la France, n'était qu'une simple partie de pique-nique[2] .

Lâché par l'Espagne, trahi par la Mauritanie, méconnu sur le plan international, le Polisario qui n'était, faut-il y insister, ni libéral au sens que les officines américaines donnaient à ce concept, ni communiste, donc ni pro-américain ni pro-soviétique, se trouvait le 6 novembre 1975, date de l'invasion du Sahara Occidental par les troupes marocaines, le dos au mur.

Eu égard au peu de moyens humains et matériels dont il disposait, le Front Polisario n'était tout simplement pas en mesure de faire face aux multiples défis que lui imposait la nouvelle et inattendue conjoncture crée par les protagonistes des accords tripartites de Madrid[3]. Du coup, le peuple sahraoui livré par les autorités espagnoles de l'époque, mains et pieds liés, aux troupes marocaines et mauritaniennes, n'avait que peu de chances de survire au traquenard que ses ennemis lui ont préparé. Après tout, les génocides n'étaient pas une nouvelle expérience que les nouveaux colonisateurs devraient inventer à partir de rien ! c'est le fait du siècle, des siècles ! Et à ce titre, les nouveaux colonisateurs n'avaient besoin, en réalité, que de suivre mécaniquement les instructions précises contenues dans les manuels laissés par les puissances occupantes qui les avaient devancées dans l'histoire sur la voie de l'asservissement des peuples. Et en cela, il faut reconnaître que les autorités d'occupation marocaines et mauritaniennes se sont montrées d'excellents imitateurs : Bombardement au napalm des populations civiles, fosses communes où sont jetés, sans ménagement, les nationalistes classés « irrécupérables », ouverture, à la hâte, de lieux de détention secrets pour torturer et supplicier ceux et celles dont on espérait encore arracher d'utiles informations pour la conduite des opérations de « nettoyages » en cours, mise sur pied d'unités « indigènes » puissamment armées pour traquer les « rebelles »…etc.

Quand, par le fait des coalisés de type nouveau, la terre est devenue -bien qu'elle soit vaste- petite pour les Sahraouis et que leur cœurs étaient remontés à leurs gorges de détresse, le peuple n'a pu compter, après Dieu, que sur l'Algérie, son peuple fier et généreux et ses dirigeants d'honneur, pour lui apporter secours.

Abandonné par ses cousins du sud, trahi par ses anciens « protecteurs » espagnols, méprisé par ses voisins en langue et en religion du nord qui n'avaient d'yeux que pour sa patrie considérée comme un eldorado tombé du ciel, et ignoré par une communauté internationale dont une grande partie ne soupçonnait même pas l'existence, le peuple sahraoui n'a pu échapper à un génocide collectif certain que grâce à la solidarité agissante des dirigeants, des citoyens et des citoyennes, algériens qui lui ont apporté, dans un élan de solidarité et de générosité mémorable, l'aide, l'assistance et les soins dont il avait le plus grand besoin .

Trente ans après l'invasion de notre pays, l'Algérie, ses dirigeants et ses citoyens(nes) continuent, malgré les fortes et récurrentes pressions exercées sur eux par les puissances occidentales (la France et l'Espagne en particulier), de nous apporter, dans le respect scrupuleux de notre dignité et de notre souveraineté, leur généreux et fraternels solidarité et soutien.

Quelles que soient les divergences ou les différents qui peuvent nous opposer sur la manière aussi bien de juger la situation actuelle de notre peuple que des moyens d'y faire face, nous ne pouvons en tant que sahraouis que nous montrer, éternellement, reconnaissants au peuple et aux dirigeants algériens pour l'aide et la solidarité précieuses qu'ils nous ont, de tout temps, généreusement et fraternellement apportées. Nous ne pouvons en conséquence ni tolérer ni accepter, sous aucun prétexte, que la sincérité et le caractère désintéressé qui ont été, et qui sont toujours, à l'origine de cette aide et de cette solidarité soient mis en cause ou deviennent un sujet de controverse. Les accusations haineuses et dénuées de tout fondement lancées, depuis les officines du Makhzen, contre l'Algérie, depuis les derniers mois, doivent être dénoncées et condamnées comme elles se doivent par tous les sahraouis(es). Car ne s'en prennent à l'Algérie, ses dirigeants et son peuple, après ce qu'ils ont fait, et font toujours pour eux, que les Sahraouis qui sont, comme on dit chez nous, saou, c'est-à-dire ceux qui ont perdu à jamais leur dignité, leur fierté et leur mémoire !

A l'Algérie généreuse, à ses dirigeants d'honneur et à ses citoyens(nes) dignes et fiers, toute notre profonde, chaleureuse et sincère reconnaissance et gratitude !

09.11.05


[1] Bontems, Claude, La guerre du Sahara Occidental, Paris, PUF, 1984

[2] Voir, pour plus de détails sur ce sujet, Barbier, Maurice, Le conflit du Sahara Occidental, Paris, L'Harmattan, 1982

[3] Les accords tripartites de Madrid ce sont ces accords signés le 14 novembre 1975 sous le patronage du gouvernement espagnol de l'époque et qui stipulaient le partage du Sahara Occidental de son peuple et de ses richesses entre les trois pays. L'histoire a été rarement témoin d' un tel mépris du droit et de la dignité humains ! [texte traduit]


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