NOUVELLE PUBLICATION

Compte-rendu

LETTRE A MON FRERE MAROCAIN

Mohamed-Fadel ould Ismaïl ould Es-Sweyih, alias Fadel Ismaïl

INTRODUCTION par Ahmed Baba Miské

@rso édition, 2002, 58 p.
-->
édition online

 

Les Débats, hebdomadaire algérien, No 51, 6.-12.11.02

Le testament du Sahraoui Fadel Ismaïl

« Lettre à mon frère marocain »

L'auteur de Les Sahraouis et La République sahraouie reste convaincu que le retrait du Maroc du conflit du Sahara occidental sera avant tout « une victoire du peuple marocain » et que l'émergence d'un Etat sahraoui sera « à l'avantage » des Marocains et de tous les peuples du Grand Maghreb. « Ce n'est pas une honte de soutenir la justice, de soutenir le droit à l'autodétermination d'un peuple », affirme-t-il avec force.

Fadel Ismaïl, de son vrai nom Mohamed Fadel ould Ismaïl ould Es-Sweyih, était sur un projet d'écriture, qui lui tenait à cœur. Ce diplomate sahraoui, militant du Front POLISARIO, est décédé subitement le soir du 5 mai dernier, des suites d'une crise d'asthme, en laissant derrière lui un document inachevé, qu'il avait intitulé : Lettre à mon frère marocain. Son « testament » de plus d'une cinquantaine de page, a été publié très récemment par le couple suisse Marie Claire et Emmanuel Martinoli, dans le cadre de l'association pour un référendum libre et régulier au Sahara occidental (ARSO), qu'ils dirigent et préfacé par Ahmed Baba Miské, l'ancien ambassadeur mauritanien et observateur attentif du conflit sahraoui.

Il serait erroné de voir dans la Lettre à mon frère marocain, une quelconque remise en cause de la problématique du conflit, qui oppose le mouvement de libération sahraoui (front POLISARIO) et le Maroc, depuis plus d'un quart de siècle. Au contraire, Fadel Ismaïl parle longuement du Sahara occidental, ce « pays des Sahraouis, Saguia el-hamra et Rio de Oro, connu autrefois sous le nom de Sahara espagnol », en revisitant l'histoire, en réexaminant les résolutions des Nations unies, les positions de l'ancienne puissance coloniale, l'Espagne, et les témoignages des historiens. « Les Sahraouis ne se sentent pas Marocains (…). Leurs coutumes, leurs traditions, leur langue et leur mode de vie disent suffisamment leur différence », écrit-il à son voisin du nord. Et, comme pour mieux convaincre son vis-à-vis, il lui rappelle, en des termes si simples, d'horribles choses, le calvaire du peuple sahraoui : « Si c'était le contraire, le Maroc n'aurait pas eu besoin de mobiliser son armée entière et de doubler ses effectifs pour se maintenir au Sahara occidental. Il n'aurait pas eu besoin de massacrer les civils sahraouis, de bombarder des camps entiers au napalm et au phosphore blanc, d'incarcérer et de torturer, sans jugement, des centaines de Sahraouis, ni d'intimider la population sahraouie, qui vit sous l'occupation marocaine ». Fadel réfute la thèse marocaine des « droits historiques » et revient au contexte des années 70, en désignant la responsabilité de la monarchie, dans l'agression et l'annexion d'un territoire non autonome, qui était censé recouvrer son indépendance, en 1975 : « Le roi Hassan II a crié au danger extérieur, pointant le doigt vers l'Algérie (…). Elle (l'Algérie, NDLR) a été choisie pour cacher au peuple marocain l'existence du peuple sahraoui et pour l'induire en erreur, en l'impliquant dans une guerre fratricide contre ce dernier ». En homme libre, le défunt interpelle l'intelligence et le sens des responsabilités du citoyen marocain, en particulier, celui qui se défend d'être un démocrate, sur les « vrais problèmes » du royaume, en citant l'absence de démocratie et de justice, l'existence de millions de chômeurs, la drogue, la délinquance, la prostitution… « Il me semble, écrit-il, que le moment est venu, pour les démocrates marocains, de se positionner clairement par rapport au système (le makhzen, NDLR), qui nous impose le mépris comme destin ». L'auteur de Les Sahraouis et La République sahraouie reste convaincu que le retrait du Maroc du conflit du Sahara occidental sera avant tout « une victoire du peuple marocain » et que l'émergence d'un Etat sahraoui sera « à l'avantage » des Marocains et de tous les peuples du Grand Maghreb, qu'il faudra construire. « Ce n'est pas une honte de soutenir la justice, de soutenir le droit à l'autodétermination d'un peuple », affirme-t-il avec force.

Fadel se montre même disposé à discuter de certaines formules proposées par des amis marocains. A imaginer, par exemple, une association de libre-échange entre le Maroc et ses voisins naturels, les Sahraouis et les Mauritaniens ou encore des états associés, à condition, précise-t-il, que soit mis en avant la « reconnaissance officielle de l'autre partie, reconnaissance de la différence, reconnaissance de l'Autre ». Il se montre également très critique vis-à-vis de la France, qui note-t-il, « n'a pas fini de coloniser le Maroc, en donnant la priorité à la défense de ses propres intérêts .» Une France qu'il interpelle et qu'il invite à se séparer des relents « néo-colonialistes », pour jouer un rôle capital dans la recherche de la paix et la construction d'un partenariat euro-maghrébin.

Fadel Ismaïl s'est éteint à l'âge de 53 ans, en appelant à « la réconciliation » entre Marocains et Sahraouis. Il est parti, trop tôt, sans avoir eu le temps d'approfondir sa généreuse vision, qui consiste à affranchir le Maghrébin, pour en faire un citoyen à part entière, respectueux des droits de l'homme et des peuples et ayant son mot à dire sur l'avenir de son espace géographique et des Etats qui le composent.

Z'hor Chérief


[Communiqués, lettres, Documents...] [HOME]