Réponse de M. Kessler à l'article de Jean-Pierre Tuquoi

publié dans Le Monde (édition du mercredi 20 juin 2001)

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En tant que présidente de l'intergroupe du Parlement européen "Paix pour le peuple sahraoui", je désire attirer l'attention de votre rédaction sur un certain nombre d'erreurs concernant l'article de Jean Pierre Tuquoi "Le Front Polisario rejette le plan marocain pour le Sahara Occidental" (édition du mercredi 20 juin 2001, p.3).

1- "Il est probable que le mandat de la Minurso sera renouvelé cette fois encore mais le refus, il y a quelques semaines, par le Polisario d'un projet de "3ème voie" préparé par le Maroc souligne l'impasse- coûteuse pour les finances de l'ONU- dans laquelle se trouve le dossier".

Moins que d'un refus de la part du Front Polisario, ces derniers développements témoignent de la tentative de la part du Maroc et de son allié au Conseil de Sécurité la France, d'imposer aux sahraouis une solution qui abandonnerait le Plan de paix ONU/OUA de 1991, pourtant accepté par les deux parties du conflit c'est à dire le Maroc et le Front Polisario, et confirmé lors des accords de Houston en 1997 sous les auspices de James Baker. Or cette « 3ème voie » est totalement contraire au droit international ainsi qu'à toutes les résolutions des Nations Unies sur le Sahara Occidental car elle traite par le mépris les faits suivants:

- la communauté internationale a reconnu que le conflit du Sahara Occidental est un conflit de décolonisation qui a pour protagonistes le Maroc et le Front Polisario.

- le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui est reconnu sans la moindre ambiguïté depuis le début des années soixante.

- ce droit a été confirmé par l'avis consultatif de la Cour Internationale de la Haye en 1975 qui n'a retenu l'existence d'aucun lien entre le Sahara Occidental et le Maroc d'une nature qui empêcherait l'application de la résolution 1514 sur le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui.- contrairement à ce qui est rapporté le plus souvent dans la presse française, y compris dans Le Monde, il est techniquement possible de tenir le référendum d'autodétermination : depuis janvier 2000, au terme de 9 ans de travaux menés par des équipes internationales, la MINURSO a parachevé la liste des listes d'électeurs en respectant tous les critères acceptés par les deux parties du conflit tels qu'ils sont définis dans le plan de paix des Nations Unis et réaffirmés dans les accords de Houston de 1997.

Cette liste de 86 349 personnes reconnues comme électeurs par la communauté internationale (plus d'une trentaine de pays ont participé à ces travaux) laisse aussi prévoir que le résultat sera favorable aux partisans de l'indépendance. Ce sont ces chiffres et les déductions qu'on peut en tirer qui ont amené le Maroc à déposer plus de 130 mille recours en appel auprès de la MINURSO, dont la quasi-totalité sont dépourvus de justifications pratiques ou techniques. Cet obstacle n'est pas insurmontable : dans son rapport de fin février 2001, le Secrétaire Général de l'ONU Kofi Annan indiquait qu'il était possible d'envisager des mesures afin de traiter rapidement les recours.

C'est aussi justement au moment où la concrétisation du référendum devient possible que l'imposition d'une « 3ème voie » commence à se mettre en place, le Maroc voulant éviter à tout prix l'humiliation d'une défaite dans une consultation libre et démocratique.

2- Le contenu de cette « 3ème voie », ou accord d'autonomie qui serait négocié directement entre le Maroc et le Front Polisario hors de toute légalité internationale, correspond à une intégration forcée du peuple sahraoui dans l'état marocain. En fait les propositions marocaines soumises par James Baker au Front Polisario, anticipent sur l'un des deux résultats possibles du référendum- dans ce cas, l'intégration au Maroc.

En ce qui concerne les détails de ce plan d'intégration, l'article de M. Tuquoi omet, et de ce fait déforme des faits pourtant connus et commentés depuis la semaine dernière dans la presse internationale (articles de El País de jeudi 14 juin 2001 « Baker propone al Frente Polisario ensayar una autonomía en el Sáhara » et de vendredi 15 juin 2001 « Marruecos ofrece un referendo para el Sáhara que evita la autodeterminación ») : une sorte d'assemblée mi-législative mi-éxécutive serait élue par les sahraouis- indépendamment de tous les domaines importants qui seraient du ressort exclusif des autorités marocaines, le droit marocain serait la seule référence. L'article omet d'autres détails pourtant révélateurs de l'esprit de ce « plan » : quelques années plus tard, si le Maroc en a envie, il offrirait un référendum de confirmation (rien à voir bien sûr avec une quelconque autodétermination) à tous les habitants du Sahara Occidental, y compris aux marocains qui y résideraient depuis au moins un an. Etant donnée la politique de colonisation à l'israélienne que le Maroc mène dans les territoires occupés du Sahara Occidentale, le « succès » de cette consultation serait connu d'avance.

Cette parodie de proposition n'honore ni le Maroc qui l'a élaboré, ni James Baker qui l'a soumise au Front Polisario tout en en connaissant d'autant mieux le caractère inacceptable qu'il a travaillé aux Accords de Houston en 1997, ni l'article du Monde qui en donne une vision améliorée par omission des aspects les plus choquants.

3- « Tindouf, la « capitale » de la République arabe sahraouie démocratique (RASD, non reconnue) »

Cette affirmation est tout simplement fausse : contrairement à ce qu'affirme M. Tuquoi, la RASD est reconnue officiellement par plus de 70 pays à travers le monde, et est membre à part entière de l'OUA. On parle même actuellement dans la presse sud africaine (Business Day) de la possibilité d'une reconnaissance prochaine de la RASD par l'Afrique du Sud.

Autant d'inexactitudes créent une perception déformée de la réalité et des faits, ce qui est très préjudiciable dans le contexte de tensions renouvelées que connaît ce conflit depuis le début de l'année. Il est regrettable aussi qu'au cours de ces dernières années, Le Monde n'ait publié aucun reportage sur les campements de réfugiés sahraouis et ne se donne pas la peine de rendre compte de cette réalité politique et humaine.

Avec l'expression de mes sentiments les meilleurs

Margot Kessler

MEP
Présidente de l'intergroupe du Parlement européen sur le Sahara Occidental « Paix pour le peuple sahraoui »
mkessler@europarl.eu.int

REPONSE DE JEAN-PIERRE TUQUOI

Merci pour votre courrier;

Je n'ai guère le temps de répondre à votre longue et très intéressante lettre; mais tout ce que j'ai écrit jusqu'ici concernant le Sahara Occidental montre, me semble-t-il, que je ne suis pas sous influence marocaine...

Qu'il n'y ait pas eu de reportage sur le Sahara Occidental dans nos colonnes tient uniquement au fait que les autorités algériennes depuis deux ans refusent de me délivrer un visa - pour Alger comme pour Tindouf.

Encore merci.


Response of M. Kessler to the article of Jean-Pierre Tuquoi

published in Le Monde (edition of June 20 2001)

As president of the European Parliament intergroup "Peace for the Saharawi People", I would like to draw the attention of your newsdesk on a number of errors concerning the article by Jean Pierre Tuquoi "Le Front Polisario rejette le plan marocain pour le Sahara Occidental" (edition Wednesday 20 June 2001).

1-"It is probable that the mandate of the Minurso be extended yet again, but the rejection, a few weeks ago, by Polisario, of a "3rd way" project prepared by Morocco stresses the deadlock situation- costly for the finances of the UN- which prevails for this subject."

Less than a rejection from the Polisario Front, the latest developments bear evidence of the attempt, by Morocco and its ally in the Security Council France, to impose on the Saharawis a solution which abandons the 1991 UN/OAU Peace Plan, although this plan was accepted by both parties in conflict, that is, Morocco and the Polisario Front, and confirmed by the 1997 Houston Accords under the auspices of James Baker. What's more, this "3rd way" is totally contrary to international law and to all the UN resolutions on Western Sahara, since it treats with contempt the following facts:

- the international community recognised that the conflict in Western Sahara is a decolonisation conflict opposing Morocco and the Polisario Front.

- the right to self-determination of the Saharawi people is recognised without any ambiguity ever since the early sixties.

- this right was confirmed by the advisory statement of the International Court in The Hague in 1975, when it stated that there was no link between Western Sahara and Morocco of a nature which could prevent the implementation of resolution 1514 on the right to self-determination of the Saharawi people.

- contrary to what is said most of the time in the French press, including in Le Monde, it is technically possible to hold the referendum of self-determination: in January 2000, at the end of 9 years of work by international teams, Minurso completed the list of voters in accordance with all the criteria accepted by both parties, as they are defined by the UN Peace Plan and confirmed by the 1997 Houston Accords.

This list of 86 349 people recognised as voters by the international community (more than thirty countries took part in the identification work) allows one to deduct that the result of the referendum will be favourable to those who support independence.These figures and the conclusions that anybody can draw from them lead Morocco to lodge over 130 thousands appeals to the Minurso, most of which are devoid of any technical or practical justification. Yet this obstacle can be overcome: in his report at the end of February 2001, UN Secretary General Kofi Annan indicated that it was possible to find the means to expedite these appeals.

It is also just at the time when the concretisation of the referendum becomes tangible that the imposition of a "3rd way" starts being organised, as Morocco wants to avoid at all costs the humiliation of loosing a free and democratic consultation.

2- The content of this "3rd way", or plan of autonomy which would be negotiated directly outside the framework of any international legality, corresponds to the forced integration of the Saharawi people into the Moroccan state. In fact, the Moroccan propositions put forth by James Baker to the Polisario Front anticipate on one of the two possible results of the referendum, in that case, integration.

As far as the details of this plan of integration are concerned, Mr Tuquoi's article omits certain elements, and in that sense distorts facts that have nevertheless been known and commented upon since last week in the international press (articles in El País of Thursday 14 June 2001 "Baker propone al Frente Polisario ensayar una autonomía en el Sáhara" and of Friday 15 June 2001 "Marruecos ofrece un referendo para el Sáhara que evita la autodeterminación"): a sort of assembly half-legislative half-executive would be elected by the Saharawis- apart from all the crucial areas which would fall under the exclusive competency of Moroccan authorities, Moroccan law would be the rule. The article forgets to mention other details that are quite revealing of the spirit of this "plan": a few years later, if Morocco wants to, it would offer a referendum of confirmation (nothing to do of course with self-determination) to all the inhabitants of Western Sahara, including the Moroccan citizens who would have been living there for at least a year. Given the policy of colonisation after the Israeli model that Morocco has enforced in the occupied territories of Western Sahara, the "success" of this consultation would be secured well in advance.

This parody of political proposal shames Morocco which worked it out, James Baker who proposed it to the Polisario Front while knowing its unacceptable nature all the more that he mediated the 1997 Houston Accords, as much as it shames Le Monde article which improves the image of it by omitting its most shocking details.

3- "Tindouf, la "capitale" de la République arabe sahraouie démocratique (RASD, non reconnue)…""Tindouf, the "capital" of the Saharawi Arab Democratic Republic (SADR, not recognised)…"

This affirmation is simply false: contrary to what asserts Mr Tuquoi, the SADR is recognised officially by more than seventy countries around the world, and is a full member of the OAU. Recently, the South African press (Business Day) even mentioned the imminent recognition of the SADR by South Africa.So many inaccuracies distort the perception of the reality and the facts- something highly regrettable in the context of the renewed tensions that surround this conflict ever since the beginning of the year. It is also highly regrettable that over the last few years, Le Monde did not publish any report on the Saharawi refugee camps, and does not bother to give accounts of this human and political reality.

 

Yours sincerely,

Margot Kessler
MEP
President of the European Parliament intergroup on Western Sahara "Peace for the Saharawi People"

 


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