LE MATIN, Alger, 9.1.1996

"Nous ne voulons pas d'une opération sale"

Entretien avec M. Mohamed Abdelaziz , Président de la RASD, réalisé par Ratiba A.

Le Matin: M. le Président vous avez rencontré hier, l'envoyé spécial de l'ONU. Peut-on connaître la teneur de vos entretiens ?

M. Abdelaziz: Nous avons reçu l'envoyé spécial M. Gharekhan qui nous a transmis une lettre du Secrétaire général. Il nous a parlé des voies et moyens possibles pour régler le problème de l'identification, sur la base du plan de paix. Nous lui avons fait part, quant à nous, de notre point de vue qui peut se résumer en trois grands points.
Premièrement, nous sommes attachés au plan de paix original qui traite d'un référendum libre et démocratique, organisé par l'ONU en collaboration avec l'OUA, sur la base du recensement espagnol de 1974.
Deuxièmement, nous tenons les Nations unies, le Conseil de sécurité ainsi que l'OUA pour responsables du processus de décolonisation au Sahara occidental jusqu'à son achèvement.
Troisièmement nous avons indiqué au représentant du Secrétaire général qu'il devient nécessaire que l'ONU et le Conseil de sécurité fassent de véritables pressions sur le gouvernement marocain et lancent des négociations politiques à un niveau officiel pour débloquer la situation.

L'émissaire de M. Boutros-Ghali espère arriver à aplanir les divergences entre les deux parties autour de l'identification des votants. Y-a-t-il des possibilités de rapprocher les Sahraouis et les Marocains autour de cette question ?

M. Abdelaziz: Le sujet nécessite des clarifications. La partie sahraouie n'a pas de problèmes. Il n'y a pas de divergences entre notre position et le plan de paix adopté en 1991. Nous restons fidèles à notre position. Le problème actuel se pose entre le Conseil de sécurité, l'ONU et les autorités marocaines; entre le royaume du Maroc et le plan de paix.. Le Maroc veut s'éloigner de ce plan et nous imposer un nombre important d'électeurs pour arriver à un référendum truqué, à un référendum confirmatif. Nous, nous défendons un référendum d'autodétermination. Il ne faut pas perdre de vue aussi que l'ONU est présente au Sahara occidental pour organiser un référendum d'autodétermination.

Donc la tournée de M. Gharakhan n'apporte aucun élément nouveau au processus de paix ?

M. Abdelaziz: Nous ne pouvons pas dire cela. Nous espérons que cette tournée ne soit pas inutile, donc qu'elle soit utile. Ce que nous pouvons dire néanmoins, c'est que pour débloquer la situation, il faut s'orienter davantage vers l'autre partie et non plus vers nous.
Il faut demander clairement aux Marocains de laisser la MINURSO faire son travail. Il faut exiger des Marocains qu'ils respectent leurs engagements et acceptent le recensement espagnol de 1974, de même que la documentation espagnole comme preuves tangibles, pour ce qui est des électeurs.

Le référendum d'autodétermination du peuple sahraoui est reporté depuis 1992. A qui profitent tous ces reports ? Qui a intérêt au pourrissement de la situation ?

M. Abdelaziz: Il faut savoir qu'en 1981, à Nairobi, le roi du Maroc a déclaré publiquement qu'il acceptait un référendum d'autodétermination du peuple sahraoui. Depuis lors les autorités marocaines se comportent avec l'ONU et l'OUA avec mauvaise foi, et au lieu de trouver une solution juste au problème du Sahara ils contournent le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui.
De 1991 à ce jour, les Marocains bloquent la tenue de ce référendum et essaient de gagner du temps. Ils veulent arriver à un référendum qui confirme, comme ils le disent, la marocanité du territoire. Mais si cet objectif n'est pas atteint, ils comptent sur l'aide de l'ONU et des Casques bleus des Nations unies qui sont présents là-bas, pour maintenir le statu quo. C'est là la politique et la stratégie marocaines en ce qui concerne le dossier sahraoui. Ils jouent aussi sur le temps pour affaiblir les Sahraouis et exploiter les richesses de notre territoire. A travers ces reports, le Maroc espère provoquer l'impatience de nos amis et influer sur leurs engagements et leur solidarité.

La MINURSO risque de se retirer à la fin de ce mois, si la situation de statu quo reste telle quelle. Ne pensez-vous pas que ce serait là une grave décision de la part des institutions internationales ?

M. Abdelaziz: La menace de l'échec du plan de paix des Nations unies est présente aujourd'hui plus que jamais. Ceci dans la perspective du retrait de l'ONU. Cette organisation est présente sur le territoire, non pas pour perdre son temps ou gaspiller de l'argent mais dans un objectif bien précis, celui de décoloniser un territoire reconnu internationalement.
C'est pourquoi, nous disons que la responsabilité de l'ONU et de son Conseil de sécurité, engagée depuis les années 1960, est entière dans cette affaire. Le retrait des Nations unies veut dire que la communauté internationale, le Conseil de sécurité, les Nations unies sont faibles et ne représentent rien devant l'agresseur marocain, ou bien qu'ils sont complices du Maroc.
Nous tenons à ajouter qu'au lieu de se retirer du territoire, l'ONU doit imposer son autorité au Maroc et lui dicter le respect du plan de paix . Un retrait de l'ONU aura des répercussions certaines sur la crédibilité du Conseil de sécurité...
De plus les Nations unies laisseront à leur place la guerre, l'insécurité, l'injustice, l'agression, une politique de génocide poursuivie par le gouvernement marocain depuis 1975, contre un petit peuple dont le seul crime est de revendiquer son droit à l'autodétermination et à la liberté.

Dans le plan de paix original, l'étape des négociations directes est importante, voire nécessaire. Qu'est-ce qui bloque de telles négociations ?

M. Abdelaziz: A la fin des années 1970 et au début des années 1980 l'OUA a suivi de très près le problème du Sahara occidental. La conférence au sommet des chefs d'états et de gouvernements africains a conclu clairement à Addis Abbeba, à travers la résolution 104, que la négociation directe entre les deux belligérants est une étape fondamentale pour le règlement de cette question. Juste après, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté la même résolution et chaque année, y compris l'année 1995, cette Assemblée réaffirme ses principes et rappelle que le dialogue direct entre les deux parties peut influer sur le règlement définitif. Le secrétaire général et son représentant spécial ont essayé à plusieurs reprises, d'organiser de telles rencontres directes, mais le gouvernement marocain a toujours refusé. En fait le Maroc ne veut ni négocier ni organiser un référendum d'autodétermination.
Il est temps à présent que le Secrétariat général des Nations unies et le Conseil de sécurité appellent les choses par leur vrai nom et soient clairs. C'est le Maroc qui bloque les négociations directes. C'est le Maroc qui veut imposer des Marocains pour qu'ils prennent part au référendum. C'est le Maroc qui cherche à falsifier les listes électorales et faire échec aux efforts de l'ONU, du Conseil de sécurité, de l'OUA, des pays de la région et de toutes les personnes de bonne volonté.

Certaines ex-puissances coloniales ont actuellement des intérêts avec le Maroc. Ces intérêts piétinent le principe de décolonisation du Sahara occidental. Peut-on, à votre avis, concilier ces deux concepts, tout en respectant le droit d'un peuple en lutte ?

M. Abdelaziz: A notre avis,oui. Il n'y a pas de contradiction entre l'intérêt de ces puissances et la décolonisation du territoire sahraoui.
Nous trouvons étrange la position de certaines puissances, en premier celle de la France. Dès 1975, ces puissances ont soutenu la politique de partage du Sahara occidental entre le Maroc et la Mauritanie, puis l'annexion de notre territoire par le Maroc. Elles continuent de soutenir la politique d'intransigeance du gouvernement marocain, qui sabote tous les efforts de paix. Il est logique que les Etats veillent sur leurs intérêts, mais dans le respect de la justice, de la légalité internationale et du principe sacré du droit d'un peuple.
A notre avis la préservation des intérêts de ces puissances dans la région exige une condition essentielle, le soutien de la paix durable et de la stabilité.
Un Sahara indépendant peut mieux servir les intérêts des uns et des autres que lorsqu'il y a un conflit permanent entre les Marocains et les Sahraouis. Il est possible que certains Etats soient très préoccupés par la situation socio-économique actuelle du Maroc et sur l'avenir politique de ce pays, surtout en ce qui concerne la question de la succession.
Nous avons remarqué que les Européens s'intéressent à la pêche et au littoral des pays nord-africains. Ils ne doivent plus accepter le chantage marocain, parce qu'il s'agit de terre et de mer appartenant aux Sahraouis.
Pour revenir à la situation au Maroc et les intérêts économiques dans la région, nous pensons qu'il est de l'intérêt de tous de respecter la légalité internationale et le droit de chacun des peuples. La vision lointaine s'impose d'elle-même.

On peut vous rétorquer que vous parlez de la sorte parce que vous êtes sous occupation marocaine ?

M. Abdelaziz: Non... Le Sahara occidental dispose de ressources économiques non négligeables et occupe une position géographique importante. La partie sahraouie est prête à coopérer, après l'indépendance, avec nos voisins du Maghreb et les autres Etats. La seule condition est le respect de notre souveraineté nationale et de l'intérêt commun.
Par ailleurs, en l'absence de respect de nos droits nationaux, il ne peut y avoir de stabilité, car la guerre sera là. A l'exception des commerçants d'armes, aucun pays ne trouve intérêt dans cette guerre. Nous ne pensons pas que les grandes puissances, qui s'intéressent à notre région, puissent construire leur politique future sur les bénéfices de ventes de Jaguars, de Alx 10, Alx 13, de Milans et autres missiles.

Encore une dernière question, M. le Président,la direction du Front POLISARIO a été mandatée par le IXè congrès pour décider de la voie à suivre. Les résultats actuels répondent-ils aux attentes du peuple sahraoui et de l'Etat sahraoui ?

M. Abdelaziz: Le IXè congrès populaire qui s'est tenu en août dernier et auquel ont participé près de 2000 délégués, a en effet mandaté la direction du Front pour prendre les décisions qui s'imposent. Du mois d'août à aujourd'hui, il n'y a pas eu malheureusement de développement positif. Bien au contraire, les Nations unies n'ont pas respecté leurs engagements et ne se sont pas conformées au plan de paix initial.
Il y a même eu certains membres de l'ONU et du Conseil de sécurité qui ont voulu privilégier la position marocaine qui se rapporte à la falsification du référendum.
Il s'agit là d'une grande responsabilité.La grande majorité des membres du Conseil de sécurité, qui est sincère, cherche néanmoins à organiser un vrai référendum libre et démocratique. Grâce à cette majorité, la légalité internationale a été respectée.
Nous tenons à préciser, au nom de notre peuple et au nom du droit légitime à la liberté, à la vie, à l'autodétermination et à la décolonisation, que nous ne voulons pas d'une opération sale. Nous refusons la falsification du référendum d'autodétermination. Nous la combattrons, nous la dénoncerons et ferons appel au monde entier.... Nous refusons que l'ONU devienne la gardienne du fait accompli marocain.
Actuellement les Marocains occupent le littoral sahraoui, les plus importantes villes de notre territoire et les zones où se trouvent les richesses naturelles. Ils exploitent nos richesses et les vendent aux marchés européens. Ils persécutent les Sahraouis et les emprisonnent. Ils nous refusent notre droit à la liberté...Sur la base de tous ces éléments, les Nations unies veillent sur les Marocains. Les Casques bleus protègent les Marocains. Nous ne pouvons pas accepter indéfiniment une telle situation. C'est impossible !


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